vendredi 25 novembre 2016

Le suaire de Turin

Les entretiens du dimanche
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Le suaire de Turin
Résumé des chapitres précédents
Candide est une jeune femme en recherche de spiritualité; elle s'est adressée à son ami Théophile, diacre permanent, qui a accepté de l'aider. Ils se retrouvent chaque dimanche pour un entretien, auquel un invité peut se joindre. Ainsi nous avons fait la connaissance de François, moine franciscain, de Louis diacre permanent, du Père Stanislas curé de la paroisse où ils se réunissent le dimanche, et de Cécile récemment baptisée et confirmée.
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À la fin de leur entretien précédent, Candide a posé une question à Théophile sur le suaire de Turin. Théophile va essayer aujourd’hui d’apporter une réponse sur ce mystérieux suaire.


À gauche, tel qu'on voit le linceul, à droite tel qu'il apparut à M. Pia sur la plaque photographique.


-"Bonjour Théo !"
-"Candide, je te souhaite un bon dimanche… te voilà toute joyeuse et excitée!"
-"Évidemment….Alors ? Le suaire de Turin ? C’est le portrait de Jésus ?"
-"Pas facile de te répondre, Candide. Ce qui est acquis, c’est que ce linge représente le corps d’un supplicié par crucifixion. Mais de quand date-t-il ? Sur ce point précis, et sur le fait que ce soit Jésus, la contestation la plus vive fait rage."
-"Pourquoi ?Quelle est la difficulté?"
-"Et bien, voilà. Tout commence vers le milieu des années 1350.La famille De Charny a autorisé les chanoines de la collégiale de Lirey, à environ 20 kms de Troyes, en Champagne, à exposer publiquement une pièce de tissu sans en avoir averti l'évêque. Gros scandale! Il semble que ces expositions avaient commencé bien plus tôt, le pape les avait autorisées. Cette pièce était prudemment présentée comme étant une image ou une représentation du <sudarium du Christ> L'évêque condamnera ces expositions en déclarant, en substance, qu'il s'agit d'une peinture. À l'époque circulaient beaucoup de reliques, probablement fausses en grande majorité. Comment la famille De Charny a-t-elle obtenu cette pièce de tissu, on ne le sait pas.
Cette pièce de tissu passera de main en main pour devenir finalement la propriété de la famille de Savoie. On sait que ce tissu a été endommagé par un incendie en 1532 alors qu'il était conservé à Chambéry, et qu'il a été réparé par des religieuses. Cet épisode va peser lourd, bien des années plus tard. Je te dirai pourquoi en temps voulu."
-"C'est passionnant! mais, dis-moi: c'est presque miraculeux qu'une pièce de tissu qui aurait enveloppé le corps du Christ ait pu traverser des siècles!"
-"Oui, mais je résume, car tu n'imagines pas la volumineuse littérature consacrée à ce tissu. Je résume sinon nous serions encore là pour plusieurs semaines!"
-"Bon. Continues."
-" Nous sommes en 1898. À l'occasion du 50e anniversaire de la constitution italienne, on décida de présenter cette pièce de tissu aux pèlerins qui étaient à Turin. On dit que 800 000 pèlerins défilèrent devant ce que j'appellerai maintenant le linceul. Il fut décidé de prendre en photographie la pièce exposée. On confia ce travail à un avocat, photographe amateur, appelé Pia. Le 29 mai 1898, il réalisa la première photographie. Lorsqu'il développa la plaque négative, il fut stupéfié de voir apparaître une image d'une netteté exceptionnelle. Il avait devant lui ce qu'on appellerait un cliché positif alors qu'en réalité il s'agissait d'un négatif. C'est comme si l'image sur le linceul était un négatif photographique!"
-"Quoi?"
-"Eh! oui! L'empreinte sur le tissu est floue, à peine visible, mais l'image obtenue est nette, claire, détaillée, c'est tout simplement époustouflant. On imagine facilement la surprise et l'émotion qu'a dû ressentir Monsieur Pia. La bagarre qui va commencer oppose des gens convaincus qu'il s'agit du linceul du Christ, et d'autres qu'il s'agit d'un faux, les uns et les autres développant des arguments qu'ils veulent imparables. Le linge exerce une intense fascination sur ceux qui le contemplent et en même temps pose une question, non résolue encore aujourd’hui : s’agit-il du portrait de Jésus-Christ miraculeusement imprimé sur un tissu ou bien est-ce un faux?
Si tu veux bien, ma chère Candide, je vais  te donner les arguments principaux de cette controverse."
-"Dis-moi: quel est ton avis?"
-" Mon avis ? Je préfère te le dire quand j'aurai fini l'exposé d'aujourd'hui."
-"Cachottier…peux-tu me dire pourquoi tu utilises plusieurs mots pour désigner ce tissu? Tu parles de linceul, de linge, de suaire; je suis perdue."
-"On parle du suaire de Turin ou du linceul. Ce n'est pas tout à fait la même chose. Commençons par le suaire: le suaire est, selon la tradition, le linge qui a recouvert le visage de Jésus. Au temps de Jésus, et dans les temps qui précèdent, le suaire (en latin sudarium, en grec soudarion) est une sorte de mouchoir pour essuyer la sueur du visage; mais il désigne aussi une serviette enveloppée autour de la tête du défunt, servant de mentonnière pour lui tenir la bouche fermée et serrée au cou par une bandelette. Il ne faut donc pas le confondre avec le linceul (en grec sindôn) qui recouvre le corps entier; il est tissé en lin (en grec sindôn), mais quelquefois en d'autres matières. Ainsi, dans l'évangile de saint Jean, lors du retour à la vie de Lazare, on trouve ce verset: <le mort sortit, les pieds et les mains attachés, le visage enveloppé d'un suaire. Jésus leur dit : “Déliez-le, et laissez-le aller.>. Donc, et ça n'engage que moi, il n'est pas juste de désigner par suaire le linge conservé à Turin; le suaire est très exactement une partie d'un ensemble, qu'on désigne par suaire de Turin, à tort selon moi."
-"Et bien dis donc, tu en sais des choses! dit Candide d'un air admiratif"
-" J'ai beaucoup lu de livres sur la question; d'ailleurs, je pourrais t'en indiquer six…revenons au sujet de notre entretien.
Dans les coutumes funéraires juives au 1er siècle, le corps est couché dans un linceul. Le visage est recouvert d'un suaire, maintenu par une bandelette. Quant  au linceul, il est maintenu par trois bandelettes, une aux pieds, une à hauteur des mains et une au cou.
Les Évangiles synoptiques évoquent à plusieurs reprises l'usage du linceul (en grec sindôn, [Mc 15,45.53 : Lc 23,53] ), mais ne mentionnent jamais le suaire [Mt 27,59] <Prenant le corps, Joseph l'enveloppa dans un linceul neuf, et le déposa dans le tombeau qu'il venait de se faire tailler dans le roc>. L'expression signifie « un linceul casher » c'est-à-dire <satisfaisant>). L'Évangile selon Jean fait référence, quant à lui pour le corps de Lazare (Jn 11,44), à des bandelettes (keiriais) liant le corps et un suaire (soudàrion) sur son visage : <le mort sortit, les pieds et les mains attachés, le visage enveloppé d'un suaire.>
La confusion entre « suaire » et « linceul », est probablement issue d'une mauvaise interprétation du terme soudarion de l'Évangile selon Jean.

-"Si tu me dis tout cela, ce ne doit pas être pour m'épater par ton érudition, non?"
-"En effet. Avant de te présenter les arguments des <anti-suaire de Jésus> et <pro-suaire de Jésus>, nous allons revenir à l'évangile de Jean (Jn 20,3-9):
3 Pierre partit donc avec l'autre disciple pour se rendre au tombeau. 4 Ils couraient tous les deux ensemble, mais l'autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau. 5 En se penchant, il voit que le linceul est resté là; cependant il n'entre pas. 6 Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour. Il entre dans le tombeau, et il regarde le linceul resté là, 7 et le linge qui avait recouvert la tête, non pas posé avec le linceul, mais roulé à part à sa place.
8 C'est alors qu'entra l'autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut. 9 Jusque-là, en effet, les disciples n'avaient pas vu que, d'après l'Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d'entre les morts.

Conclusion:  le linceul est à sa place, mais le corps du défunt n'y est plus. Le suaire (le linge qui avait recouvert la tête) est à sa place, c'est-à-dire dans le linceul. On comprend alors ce que signifie: Il vit, et il crut.. Pour le disciple, aucun doute n'est permis: Jésus est ressuscité!"
-"Oh Théo, laisse-moi un peu réfléchir à tout cela."

Quelques minutes s'écoulèrent. Théo reprit son exposé.
-" Je vais te résumer les arguments des tenants du faux, et ensuite ceux.
de ceux qui tiennent pour l'authenticité du suaire. D'abord, L'analyse au carbone 14.
La datation au carbone 14 du linceul a eu lieu en 1988. Un protocole avait été convenu entre l'Église et les scientifiques. L'analyse fut exécutée par trois laboratoires spécialisés, qui affirmèrent que le linceul a été créé entre 1260 et 1390. Ce fut le début d'une controverse, où tous les arguments possibles et imaginables furent avancés. En effet, la datation au carbone 14 a donné des résultats incompatibles avec ceux de toutes les études précédentes.
Les premières études qui furent menées relèvent du domaine de la médecine. En 1902,un savant anatomiste français très renommé, Yves Delage, réputé pour être agnostique et résolument adversaire de tout ce qui était hors du commun, conclut dans son rapport à l'Académie des Sciences que le suaire de Turin portait l'image du Christ. Les opinions exprimées se partagèrent entre ceux qui étaient favorables à cette conclusion et ceux qui y étaient opposés. Il fallut attendre les années 1930 pour qu'un savant aussi réputé que son prédécesseur, Pierre Barbet, conclue que les blessures révélées par le linceul correspondaient à celles de Jésus décrites dans les évangiles.
Une autre étude se pencha sur le tissu du linceul. C'est un tissu en lin, mais avec des traces de fil de coton. La manière de tisser est conforme à ce que l'on sait des méthodes employées en Palestine au premier siècle.
Après la médecine, après le tissage, s'ouvrit une étude policière, menée par Max Frei, éminent criminologiste suisse. Il s'était signalé par un article publié en 1955 analysant la manière de truquer une photographie. C'est en 1973, alors qu'il étudiait les photographies du suaire, qu' il s'aperçut que de fines particules de poussière étaient étalées sur le linge. Je passe sur la méthode utilisée, mais Max Frei acquit avec certitude qu'il s'agissait du pollen de végétaux qui poussent dans les régions désertiques du Jourdain. S'imposa à lui alors la conclusion que ces pollens venaient bien de Palestine puisqu’était exclue leur existence sur le parcours du suaire pour venir de Palestine à Turin.
Après la médecine, après le tissage, après l'enquête policière, vient à la rescousse de l'étude du linceul un appareil utilisé par la NASA pour obtenir le relief de la Lune au cours des expéditions menées en direction de notre satellite. C'est en 1976, que deux ingénieurs américains de l'U.S. Air Force, Jackson et Jumper, procédèrent à l'analyse photographique du linceul avec l'analyseur d'image, le VP8, couplé à un ordinateur. Ils obtinrent une image en relief, tridimensionnelle. Cela signifie que la représentation du corps sur le linceul est codée, et obéit à une loi mathématique très précise. L'image est isotrope c'est-à-dire qu'il n'y a pas de direction privilégiée sur cette image.
Je ne te parlerai pas de la coloration du tissu. On sait seulement qu'il ne s'agit ni de peinture, ni de brûlures, ni de quelque procédé connu à notre époque. Cependant, il est utile de rappeler qu'après l'explosion de la bombe atomique sur Hiroshima, les observateurs découvrirent des images de personnes sur des murs comme si un flash avait projeté leur ombre sur les murs.
Enfin, dernier point. Il concerne la projection du corps sur le linceul. Le linceul effectivement montre un corps vu de face et de dos. L'analyse faite avec l'analyseur d'images a suggéré aux chercheurs que l'image du linceul avait été prise en apesanteur.
Je terminerai avec une remarque qui n'engage que moi. Je pense qu'on a oublié dans les différentes études un phénomène exceptionnel: la résurrection. On ignore quelles en sont les modalités. Alors, pourquoi ne pas supposer que le processus de résurrection a formé l'image du Christ mort sur le linceul. Une idée intéressante a été émise, à savoir que l'image aurait pu être formée par deux types de rayonnement, soit un rayonnement de photons, soit un rayonnement de particules ionisées comme des protons."
Un dernier mot: si faux il y a, alors le faussaire du 13e-14e siècle avait 7 siècles d'avance sur nos connaissances actuelles en matière de photographie, médecine, mathématiques, atomique, et autres. C'est impossible"
-"Tu as fini?"
-"Oui."
-"Ouf! s'écria Candide."
Cependant, après quelques instants de silence, elle ajouta: "As-tu un doute sur l'intégrité intellectuelle des différents chercheurs."
-"Non, bien sûr."
-"Alors, si je retiens ta suggestion concernant les modalités de la résurrection, et si les deux camps qui s'opposent voulaient bien retenir cette suggestion, ne serait-il pas possible, ou même raisonnable, de dire que tous ont raison?"
 -"Peut-être …. Mais le Christ a dit: <Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l'as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l'as voulu ainsi dans ta bonté.> [Lc 10,21].
Accueillons donc le linceul de Turin comme un témoignage de la bonté de Dieu si nous croyons en Lui, et comme une icône qui donne à réfléchir sur notre vie terrestre pour ceux qui ne connaissent pas Dieu ou le rejettent."

C'est sur ces derniers mots que nos deux amis se séparèrent.

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Prochain texte
La chronologie des textes du Nouveau Testament
le 3 novembre

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À suivre chaque dimanche … si vous le voulez bien.
dimanche 27 novembre  2016

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