vendredi 28 avril 2017


"Venez à moi et je vous soulagerais" (3)


Mt 11, 28-30
28 “Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. 29 Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos. 30 Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger.”

L'absence de Candide permet à Théophile de préciser sa réflexion sur la maladie et ses conséquences. Aujourd'hui, c'est la fin de cette réflexion que nous vous livrons.
Nota des difficultés techniques d'origine inconnue ne me permettent pas d'afficher des illustrations.
Pour des raisons de compatibilité avec son PC, semble-t-il, l'auteur ne peut plus afficher d'illustrations sur ce blog, momentanément peut-être. L'auteur vous suggère donc de vous reporter au blog diacretheophile21.blogspot.com dont il est bien évidemment l'auteur, afin que vous puissiez consulter les textes illustrés, parus et à paraître.
Merci.
Face à la maladie
Le point de vue chrétien

La compassion
Avec le point de vue chrétien, nous pouvons aborder ce que nous appelons « la compassion ». La compassion, rappelons-le, est une prédisposition pour une personne de percevoir et reconnaître la douleur d’autrui, entraînant soit une réaction charitable active, soit une réaction uniquement émotionnelle. Réaction charitable, j'insiste, car par opposition à la solidarité qui est une obligationmorale, la charité est la gratuité d’un acte d’amour envers l’autre. Quel meilleur exemple à choisir que l'épisode du Bon Samaritain rapporté par saint Luc?
Le bon Samaritain
Presque tout le monde connaît l’expression « le bon Samaritain ».  Elle trouve son origine dans un passage de l’évangile de saint Luc au chapitre 10 (versets 30 à 35):
Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba au milieu de brigands qui, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à demi mort. Plusieurs voyageurs vinrent à descendre par ce chemin-là; ils le virent et passèrent outre sans s’arrêter. Mais un Samaritain, qui était en voyage, arriva près de lui, le vit et fut pris de pitié. Il s’approcha, banda ses plaies, y versant de l’huile et du vin, puis le chargea sur sa propre monture, le mena à l’hôtellerie et prit soin de lui. Le lendemain, il tira deux deniers et les donna à l’hôtelier, en disant: « Prends soin de lui, et ce que tu auras dépensé en plus, je te le rembourserai, moi, à mon retour. »
Ce Samaritain est un exemple de vraie compassion. Il voit un blessé qu’il ne connaît pas. Mais qu’importe; il s’arrête, il constate l’état lamentable du blessé. Il aurait pu en rester là. Et bien non! Il donne les premiers soins d’urgence et il cherche un lieu d’accueil. Ayant trouvé une hôtellerie, il confie le blessé à l’hôtelier. Là encore, il aurait pu en rester là, car son voyage a certainement un motif important, et porter secours à ce blessé inconnu perturbe son voyage. Et bien non! Il reste à l'hôtellerie avec le blessé jusqu'au lendemain. Il doit cependant reprendre la route; l’état du blessé ne semble plus donner d'inquiétude et le Samaritain peut poursuivre son voyage interrompu par le secours qu'il a porté à un inconnu. Il aurait pu en rester là. Et bien encore, non! Chose admirable, il paye généreusement l’hôtelier et il fait une promesse: il repassera et il payera pour les dépenses supplémentaires. Et que dire de l'hôtelier si accueillant?
Voilà ce qu’est la vraie compassion active. Elle dépasse la simple pitié, elle surpasse l’apitoiement, elle oublie pour un temps ses propres soucis pour voler au secours de celui qui a besoin d'aide impérativement ! Elle est authentique, sans « cinéma », sans grandiloquence ni condescendance, et c’est important vis-à-vis de celui qui est secouru, assisté dans son malheur. Certes la situation décrite par la parabole du Bon Samaritain constitue un idéal, mais c’est l’idéal vers lequel on doit tendre, bien que ce ne soit pas toujours facile, que l'on soit chrétien ou non.
Qu'as-tu fait de ton frère?
"Qu'as-tu fait de ton frère?" (question inspirée de Gn 4,9: " Est-ce que je suis le gardien de mon frère ?"). Pour toutes les fois où nous avons passé notre chemin, en restant indifférent envers ceux qui souffrent, qui sont dans le malheur, ou dans le danger, le Christ sera en droit de nous reprocher nos désertions:
"Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait." ... " Chaque fois que vous ne l'avez pas fait à l'un de ces petits, à moi non plus vous ne l'avez pas fait."         (Mt 25,40.45)
Dans son exhortation apostolique "Evangelii gaudium", le pape François écrit:
Non à une économie de l’exclusion.
(53.) De même que le commandement de “ne pas tuer” pose une limite claire pour assurer la valeur de la vie humaine, aujourd’hui, nous devons dire “non à une économie de l’exclusion et de la disparité sociale”. Une telle économie tue ... Aujourd’hui, tout entre dans le jeu de la compétitivité et de la loi du plus fort, où le puissant mange le plus faible. Comme conséquence de cette situation, de grandes masses de population se voient exclues et marginalisées : sans travail, sans perspectives, sans voies de sortie. On considère l’être humain en lui-même comme un bien de consommation, qu’on peut utiliser et ensuite jeter. Nous avons mis en route la culture du “déchet” qui est même promue ... Les exclus ne sont pas des "exploités", mais des déchets, "des restes".

Et plus loin, le pape poursuit:
(75.) Nous ne pouvons ignorer que dans les villes le trafic de drogue et de personnes, l’abus et l’exploitation de mineurs, l’abandon des personnes âgées et malades, diverses formes de corruption et de criminalité augmentent facilement.
Que voilà de terrifiants rapprochements de situation!
Et plus loin encore, le pape "(76.) éprouve une immense gratitude pour l’engagement de toutes les personnes qui travaillent dans l’Église ...  [qui] prennent soin des personnes âgées abandonnées de tous ...
Ceux qu'évoquent le Saint Père, et ceux qui se disaient nos amis, qui savent que nous sommes âgés, retraités et "retirés", malades et handicapée pour l'un de nous deux, au tout début de nos ennuis, ils nous ont un peu visité. Mais, depuis quelques mois, aucune visite,  aucun appel téléphonique pour prendre des nouvelles:
Heureux qui pense au pauvre et au faible
 Dommage pour nous, car ils nous auraient apporté joie et réconfort, dommage pour eux qui ont oublié les paroles du Christ dont ils se réclament:
42 … j'avais faim, et vous ne m'avez pas donné à manger ; j'avais soif, et vous ne m'avez pas donné à boire ; 43 j'étais un étranger, et vous ne m'avez pas accueilli ; j'étais nu, et vous ne m'avez pas habillé ; j'étais malade et en prison, et vous ne m'avez pas visité.    (Mt 25,42-43)

Notre solitude est un fardeau très lourd certains jours. Certains "chrétiens" ont même cru devoir nous en rendre responsables. Comment pourrions-nous oublier que nous avons été accueillis comme des "immigrés", aussi bien par des membres de l'Église locale que par des paroissiens? Certains jours sont maintenant d'une tristesse à fendre l'âme. Certains jours font douter de Dieu, douter de notre foi, douter de la charité. À quoi bon tout cela s'il faut supporter une fin de vie sans chaleur humaine, sans espérance? J'écris cela sans méchanceté ni agressivité, mais avec beaucoup d'amertume et de déception. Nous perdons peu à peu tout espoir de connaître des jours meilleurs.

La solidarité
On parle beaucoup de solidarité, mais que recouvre ce mot? L'Église catholique emploie beaucoup ce mot, au détriment, semble-t-il du mot charité. Pourquoi? Par crainte d'affirmer que ses actions caritatives s'accomplissent au nom du Christ? Par effet de mode, pour faire comme tout le monde? Parce qu'en France, république laïque, voire laïciste, où depuis plus d'un siècle existe une séparation entre l'État et l'Église, on assiste à une poussée de la laïcité avec une tendance à proscrire tout ce qui rappelle l'appartenance à une religion, faut-il pour autant que le chrétien soit solidaire plutôt que charitable?
La solidarité envers les personnes âgées semble de plus en plus s'orienter vers une solidarité qu'on doit acheter (auprès d'organismes sociaux, publics ou privés), et non pas vers une solidarité de parenté et d'amitié. Mais les "vieux" coûtent cher à la société, ils sont inutiles; d'où l'émergence d'une pensée sociale qui pousse à envisager l'euthanasie comme une solution à la question, même si cela n'est pas clairement exprimé.
Le pape François pose le problème des exclus en des termes rudes mais, hélas, lucides: "Nous avons mis en route la culture du “déchet” qui est même promue ... Les exclus ne sont pas des "exploités", mais des déchets, "des restes." N'est-ce pas ce que semblent devenir les "vieux"? Dois-je rappeler que ce sont "les vieux" qui donnent le plus au denier du culte, et de loin!
La souffrance de l'homme participe à la souffrance du Christ
À l’extrême, la souffrance de l’homme participe de la souffrance du Christ (Col 1,24: Je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous, car ce qu'il reste à souffrir des épreuves du Christ, je l'accomplis dans ma propre chair, pour son corps qui est l'Église.) La souffrance purifie l’âme et rapproche de Dieu. De là à la souhaiter, il y a un pas qu’il ne paraît pas acceptable de franchir. La lettre apostolique "Salvifici Doloris" du pape saint Jean-Paul II parle d'une souffrance qui sauve l'homme en le rapprochant de la passion du Christ. Ceci est à rapprocher de ce qu'écrivait Simone Weil:  « L’extrême grandeur du christianisme vient de ce qu'il ne cherche pas un remède surnaturel contre la souffrance, mais un usage surnaturel de la souffrance » Cette attitude en face de la souffrance suppose une foi en Dieu exceptionnelle; elle présuppose un combat solitaire contre la maladie, face au mal. Personnellement, si nous comprenons le sens de cette attitude, nous préférons parler de  charité envers le souffrant, de compassion à l'image de celle du bon Samaritain; elle obéit à une loi d'amour du fort pour le faible, elle est secourable envers le souffrant, elle est désintéressée.
La prière
Pourquoi réfléchir sur la prière? Parce que Jésus lui-même a exhorté ses disciples à prier  (Mc 11,24; Mt 7,7-11 et 21, 22; Lc 11,9-13).
Communément, on dit que prier c'est s'adresser à Dieu. La prière est le mouvement de l'âme qui tend à une communication spirituelle avec Dieu, par l'élévation vers lui des sentiments.
La prière soulève bien des objections: c'est, dit-on, une manière de fuir ses responsabilités et de se consoler à bon compte, c'est un mode enfantin de comportement pour l'homme qui n'est pas assez fort ou adulte pour affronter la réalité et qui trouve là un refuge artificiel, c'est aussi une manière d'essayer de mettre Dieu au service de nos intérêts et de nos besoins, d'éviter aussi d'échapper à notre devoir de chrétien. Ces déviations existent: ainsi, si au lieu de rendre visite à un malade quand rien ne s'y oppose, on préfère prier, c'est bien, c'est louable, mais c'est insuffisant, car cela semble dire à Dieu: "prends ma place et débrouille-toi avec ce malade? Fais ce que je ne fais pas" Est-ce là la vraie prière, celle de Jésus, celle des saints? Non, bien évidemment.
Bref! Certains se sentent autorisés à prétendre que prier ne fait pas sérieux. Pour beaucoup, c'est une pratique d'un autre temps; pour l'homme moderne qui se veut libre et libéré (libéré de quoi?), c'est dépassé. Le chrétien sent bien qu'on ne peut évacuer la question aussi facilement, et il s'interroge: qu'est-ce que prier? Pourquoi prier?
Alors? Parler à Dieu, est-ce une utopie? Non, non, non et non. Dieu a parlé aux hommes par les prophéties, la Bible en témoigne. Les psaumes nous enseignent que parler à Dieu n'est nullement utopique (Ps 4,4; Ps 17,6; Ps 130, 1-2). Jésus lui-même atteste de façon parfaitement claire qu'il est possible de parler à Dieu en l'appelant "Père".
Enfin, Dieu est attentif à sa création. Le psaume 23 évoque admirablement cette sollicitude. La providence divine s'étend à tous les êtres, et Jésus témoigne constamment que dans sa vie, son action et sa mort, il s'en remet totalement à la volonté de Dieu.
Pour comprendre ce que signifie la prière, observons Jésus. L'Évangile nous rapporte qu'il prie souvent et longuement. Aux étapes décisives de sa mission, il se retire dans un endroit isolé pour prier son Père. C'est donc que la prière lui est essentielle, et sa prière est aussi bien action de grâce et louange que plainte, demande, soumission à la volonté du Père. Alors, nul homme et femme d'aujourd'hui, qui se veulent disciples du Christ, ne peuvent vivre, au sens évangélique du terme, sans prier. Le chrétien, et tout spécialement le malade,  doit donc faire de la prière un temps fort de sa vie. C'est le seul moyen pour ne pas sombrer dans le découragement. … Et si l'aidant priait avec lui?
Jésus ne nous a pas seulement dit de prier comme il nous l'a appris, mais aussi de prier en son nom (Jn 14,13-14), Jésus intervient constamment en notre faveur devant Dieu "Abba", et par l'Esprit Saint nous pouvons entrer dans la relation qui unit le Fils à son Père. La prière a donc un fondement trinitaire. Donc, adressons notre prière au Père parce que nous sommes ses enfants, à Jésus-Christ parce que nous sommes ses disciples, à l'Esprit Saint parce que nous sommes les héritiers de Jésus-Christ. La prière, c'est le courant trinitaire qui passe en nous.
Si nous sommes à court de paroles, prions avec les psaumes, dont la richesse est incommensurable. Il y a des psaumes pour toutes les situations de notre vie terrestre. Un bon psautier les range par catégories: pour la catégorie "maladie", citons les psaumes 6, 27(28), 29(30), 40(41), 87(88), 142(143) Æ le numéro entre parenthèses est celui de la bible hébraïque, et le numéro hors parenthèses celui de la Septante.
Comment faire pour recevoir de l'Esprit la vie comme un don, pour retourner au Père notre existence croyante, pour être en vérité au nombre de ceux qui sont assemblés au nom de Jésus, le Fils? Depuis des siècles, l'Église s'est donné sa propre prière, affinée et adaptée au cours du temps: c'est "la liturgie des heures". Prière d'une très grande richesse, c'est une prière de la foi, aux dimensions universelles. La prière de l'Église fait prier en nous le Christ en faisant de nous son Corps.
Toutefois, attention: la maladie peut effacer le désir de prier, car à quoi bon prier puisque "mon état ne s'améliore pas"? Pour éviter ce triste effacement, l'entourage du malade doit prier avec lui, en veillant au choix du moment opportun et du contenu de la prière. Mais la prière sans acte de compassion n'est rien. Pensons à l’épisode évangélique de la femme cananéenne (cf. Mt 15, 21-28).  Jésus lui dit : « Femme, grande est ta foi ! Qu'il t'advienne selon ton désir! » Le Christ n'est pas insensible à la prière de cette femme, et il agit! gratuitement, sans rien attendre en retour.
Le sacrement de l’onction des malades
Nous voulons rappeler ici qu'il existe un sacrement très important pour le chrétien. Pour ses membres, l’Église catholique propose le sacrement de l’onction des malades. De quoi s’agit-il ? Tout d’abord, insistons sur le fait qu’il faut absolument renoncer définitivement à la notion d’extrême onction :ce sacrement ne suppose en rien que la personne qui le reçoit soit en danger de mort. Cette conception erronée persiste, hélas, chez certains chrétiens, qui se privent ainsi du secours de la miséricorde de Dieu, et par voie de conséquence en privent le malade dont la vie n'est pas en danger. Enfin, et ceci est essentiel, l’onction des malades est un sacrement, mais ce n’est ni une technique infaillible de guérison, ni une pratique magique aux vertus miraculeuses. Notons que le sacrement de l’onction des malades peut être reçu plusieurs fois au cours d’une vie, sous réserve que la maladie soit avérée et que la foi en Dieu soit réelle.
La guérison n'est complète que lorsque toutes les ruptures sont cicatrisées ensemble. Le sacrement des malades est la force que donne la foi en la miséricorde de Dieu : il peut être à l’origine de la guérison du corps, de la guérison des relations avec les autres, de la réconciliation  avec le monde, de l’acceptation de notre finitude et de la compréhension de la vie et de la mort, de la réconciliation avec Dieu. En résumé, l'onction des malades est un sacrement, qui concerne l'homme tout entier, en son corps, son esprit et son âme.
 L’onction des malades est un sacrement qui se reçoit dans la foi.  La foi est associée à la guérison de façon indubitable, et même cela va plus loin encore, car si le corps est guéri, l’esprit et l’âme découvrent la richesse et la force de la Parole de Dieu. Dans les Actes des Apôtres (14,8-10), se trouve un petit récit de guérison, que voici :

À Lystres se trouvait un homme qui ne pouvait pas se tenir sur ses pieds. Étant infirme de naissance, il n'avait jamais pu marcher. Cet homme écoutait les paroles de Paul, qui fixa les yeux sur lui; voyant qu'il avait la foi pour être sauvé, Paul lui dit d'une voix forte: « Lève-toi, tiens-toi droit sur tes pieds. » D'un bond, l'homme se mit à marcher.
"Lève-toi" voilà ce que donne le sacrement de l’onction des malades, se relever, sortir de l'état qui nous déprime, qui nous décourage et nous fait abandonner la lutte pour la guérison, en un mot très fort : ressusciter. « Au nom de Jésus Christ le Nazaréen, lève-toi et marche. » dirent Pierre et Jean à l’infirme du Temple (Cf. Actes 3,1-10).
Nous portons en nous la vie nouvelle reçue du Christ, mais nous la portons "dans des vases d'argile" comme le dit saint Paul (2 Co 4,7), dans une existence encore soumise à la souffrance, à la maladie, au péché et à la mort. Le Christ, qui a remis les péchés et guéri les malades, a voulu que son oeuvre de guérison et de santé continue dans l'Église, par la grâce de l'Esprit Saint. Le Seigneur est le seul qui puisse restaurer l'harmonie de l’être humain par sa victoire sur le mal. Sa résurrection annonce la nôtre. Ce que donne le sacrement de l'onction, c'est donc une force de résurrection dont le croyant a déjà reçu un germe dans son baptême et dont il s'est nourri par le "pain de Vie".

Conclusion
Dieu a voulu que notre seule règle de vie soit l’amour. Encore faut-il s’entendre sur le sens de ce mot, aujourd’hui si galvaudé, car ce mot  désigne en effet maintenant bien des réalités différentes, du sublime au sordide. Jésus demanda à Pierre : « M’aimes-tu ? » L’amour dont le Christ parle à Pierre (Jn 21,15-19) est celui qui donne tout à l’objet aimé, tout, le corps, l’esprit, l’âme. C’est un amour qui va jusqu’à donner sa vie pour l’autre, s’il le faut. On le nomme agapè. Dans la souffrance, la relation d’amour souffrant-entourage est d’une importance capitale et fondamentale. Le malade en reçoit la force pour lutter contre sa maladie, et l’entourage donne et reçoit un authentique partage d’amour.
L'enseignement du Christ est sans équivoque possible: il insiste sur le fait que, dans la perspective de la vie éternelle à laquelle tout homme est appelé, il est essentiel de «s'arrêter», à l'exemple du bon Samaritain, près de la souffrance de son prochain, d'avoir pitié d'elle, et enfin de la soulager. Dans le monde actuel il faut libérer l'amour, pour faire naître des oeuvres d'amour à l'égard du prochain, pour transformer toute la civilisation humaine en « civilisation de l'amour ». Dans cet amour, le sens salvifique de la souffrance se réalise à fond et atteint sa dimension définitive. Nous tenons à reprendre les propos du Pape François, lors de l'audience du  10 juin 2015:
"Dans les Évangiles, de nombreuses pages rapportent les rencontres de Jésus avec les malades et son zèle pour les guérir. Il se présente publiquement comme une personne qui lutte contre la maladie et qui est venu guérir l’homme de tout mal : le mal de l’esprit et le mal du corps: « Le soir venu, quand fut couché le soleil, on lui apportait tous les malades et les démoniaques » (Mc 1,32). Si je pense aux grandes villes d’aujourd’hui, je me demande où sont les portes devant lesquelles amener les malades en espérant qu’ils seront guéris ! Jésus n’a jamais évité de les soigner. Il n’a jamais passé son chemin, il n’a jamais tourné son regard d’un autre côté ... Voilà la gloire de Dieu ! Voilà le devoir de l’Église ! Aider les malades, ne pas se perdre en bavardages, aider toujours, consoler, soulager, être proches des malades "

Jacques Choquet,
diacre permanent
dans la 21e année de mon diaconat

À Dijon, avril-mai 2017

"Venez à moi et je vous soulagerais" (2)


Mt 11, 28-30
28 “Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. 29 Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos. 30 Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger.”

L'absence de Candide permet à Théophile de préciser sa réflexion sur la maladie et ses conséquences; en effet, ce sujet lui tient à cœur, car lui-même et son ami Louis sont confrontés à une situation personnelle préoccupante du fait de la maladie de leurs épouses.
Aujourd'hui, c'est la suite de cette réflexion que nous vous livrons, et que nous conclurons  dimanche prochain.
            Nota des difficultés techniques d'origine inconnue ne me permettent pas d'afficher des illustrations. 

Face à la maladie
Des comportements
Entourage, maltraitance, isolement social

Positions diverses face à la maladie
Dans une maladie, l'entourage peut ressentir les mêmes douleurs morales et spirituelles que le malade. C'est ainsi que le regard joue le même rôle chez le malade et son entourage.
Le malade peut prendre plus ou moins conscience de la dégradation de son état, même dans le cas de maladie dégénérative. Il ressent alors une intense douleur morale et spirituelle, et aussi l'humiliation de ne plus être autonome. Son inutilité et sa dépendance  sont pour lui un lourd fardeau. Son entourage se trouve placé dans les mêmes conditions. Dans le cas de maladie dégénérative, la douleur morale et spirituelle de l'entourage peut devenir elle aussi insupportable, et engendrer une situation de remords ou de regrets, ou pire de rejet envers le malade, car certaines situations transforment la vie ordinaire en enfer quotidien pour celui qui a la charge du malade, celui qu'aujourd'hui on appelle "aidant", par opposition  au malade, "l'aidé". Dans le cas plus grave de l'assistance continue à un handicapé, physiquement ou psychiquement,  celui qui assure cette aide peut à la longue être victime d'une souffrance morale qui peut atteindre une limite insupportable pour lui-même; un état de fatigue générale s'installe: l'aidant est bien près de s'effondrer. Sait-on  qu'aujourd'hui, en France, un aidant sur trois meurt d'épuisement avant celui qu'il aide?
Il semble évident que l'entourage du malade devra recourir à des aides extérieures spécialisées, très souvent médicales ou paramédicales, aides qui sont onéreuses et peut-être impossibles à supporter financièrement, sauf si l'État ou des organisations caritatives peuvent apporter leur contribution.
Je n'aborde pas volontairement les comportements suicidaires, comme l'alcoolisme, le tabagisme ou la drogue. Ils relèvent en premier stade, dans bien des cas, de l'éducation reçue, bien avant que des modes, des sollicitations mercantiles ou médiatiques ne les transforment en problème de société.
La médecine
Tout être humain est appelé à souffrir dans sa vie, et cela de façon très personnelle. Il est étonnant de constater que la souffrance, quelles qu’en soient les formes, n’a jamais fait l’objet d’une étude globale, à ma connaissance, bien que des disciplines variées s’en soient préoccupées pour en définir la nature, étudier comment elle survient, demeure puis disparaît éventuellement. Quelles en sont les causes ? A-t-elle un sens ? Comment les individus réagissent-ils ? Quels remèdes mettre en œuvre ? Il y a encore quelques années, les facultés de médecine n’enseignaient rien ou presque rien sur la douleur et la souffrance ; j'ai même vécu une expérience rare, celle de recevoir au petit matin mon médecin traitant victime dans la nuit d’une crise de colique néphrétique et qui venait me voir pour s’excuser d’avoir seulement délivré une ordonnance en négligeant de prendre en compte l’intensité de la crise que j'avais eue la veille ! Lui, il avait pris de la morphine, moi je n'avais eu qu'un médicament ordinaire!
La médecine est évidemment en première ligne dans le traitement de la souffrance, mais de plus en plus la philosophie et la psychologie s’y associent, et aussi la religion quelquefois. Dans une situation de souffrance, il y a deux catégories de personnes qui sont concernées : le souffrant (qu'on me pardonne ce néologisme) bien évidemment, mais aussi l’entourage, famille, amis, compagnons de travail, et le (ou les) médecin. On peut concevoir que chacun de ces intervenants réagira différemment, selon sa culture, sa philosophie de la vie, sa religion, et sa morale ; pour le corps médical, s’y ajoutent les compétences.
On peut concevoir aisément que si le souffrant est gagné à un certain moment par le découragement et la lassitude, avec peut-être la tentation de « tout laisser tomber », il en va de même pour l'aidant et l'entourage proche et ses amis ou connaissances. Combien de malades, atteints de maladies graves, constatent amèrement le vide progressif qui se fait autour d’eux ! La solitude laisse la place à l'isolement social. Nous y reviendrons plus loin. Il est donc bien évident que la médecine, toute seule, sera insuffisante et que les disciplines évoquées plus haut devront être appelées en renfort.

Culture, philosophie, morale, et religion
La culture, la philosophie de vie personnelle, la religion, et enfin la morale qui découle de la philosophie et de la religion personnelles, tous ces facteurs jouent un rôle devant la souffrance.
La religion et la morale qui en résulte sont importantes ; par exemple, pour le christianisme, le pauvre et le malade doivent être secourus, mais faire le mal, source de souffrance, est interdit. Le progrès spirituel est aussi source de réactions différentes, par exemple le stoïcisme. Enfin, la perception plus ou moins forte de la finitude de l’homme est aussi un facteur non négligeable.
Religion, morale, recherche scientifique influencent la vie moderne. On le voit bien avec le débat à propos de la légalisation ou non de l’euthanasie, encore que le non-dit pèse lourd en ce débat. C'est le cas également du débat concernant la recherche sur l'embryon humain. Nous reviendrons bientôt, et plus en détail, sur le point de vue chrétien sur la souffrance.

L’entourage: quel est son rôle?
Dans la souffrance, l’être de chair, d’esprit et d’âme qu’est l’être humain, engage un combat contre la souffrance, mais aussi contre lui-même. Les psychologues savent bien que la maladie a des répercussions sur l’être psychique. À l’inverse, une souffrance psychique va se répercuter sur l’être physique. L’engrenage des souffrances vient de naître. Quand l’être psychique est atteint, tout devient possible, jusqu’à la dépression, voire l’autodestruction.
Dans cette spirale de souffrances, l’entourage ne peut pas seulement se contenter d’assister à l’évolution des choses ; il doit prendre conscience que lui-même est engagé dans le combat, quoi qu’il lui en coûte. Tout membre de l’entourage, qui aime vraiment celui qui souffre, souffre également; quelquefois, voir souffrir un malade sans pouvoir soulager sa souffrance provoque une souffrance aux limites du tolérable. Dans le regard de mon épouse handicapée, je discerne souvent comme un appel au secours, mais aussi la peur d'être abandonnée, la souffrance aussi de se savoir dépendante et de mesurer tous les soucis et difficultés qui résultent pour moi de son état. On n'imagine pas l'importance du regard.
Le rôle de l'entourage est essentiel, en ce sens qu'il doit encourager et soutenir le malade, même si les progrès se font attendre, même si la dégradation de la santé du salade semble s'accentuer. Les encouragements sont une nécessité absolue: il faut à tout prix que l'entourage masque son propre découragement: le regard, encore! Ceux qui n'ont pas vécu ces situations difficiles et délicates ne peuvent pas imaginer les répercussions bénéfiques de ces encouragements. Ils n'auront jamais qu'une vision approximative de ce qu'est de vivre 24 heures sur 24 avec un malade handicapé. Et personne n'est en mesure de comprendre la profonde souffrance d'autrui, si lui-même n'a pas souffert.
Si la maladie ne bénéficie d’aucune rémission, si elle s’installe dans la durée avec des degrés de souffrance plus ou moins longs et d'intensité variable, l’entourage va subir une pression si forte qu’il pourra ne plus avoir les forces physiques et spirituelles d’assumer une présence et une aide. Pour bien comprendre cela, prenons une image, celle de la mer attaquant une falaise. Petit à petit, sous les coups de boutoir de la mer, la falaise s'effrite, puis s'effondre. C'est ce qui se passe avec une maladie grave à haut risque; le malade, c'est la mer, avec ses degrés de dégénérescence de plus en plus profonds, et la falaise, c'est l'entourage.
En ce cas, si l’entourage s’obstine, contre vents et marées, si nous osons cette expression, il court le risque de s’épuiser physiquement, psychiquement et intellectuellement, ceci de façon progressive, mais inéluctable. Son obstination est susceptible d’avoir pour lui des conséquences désastreuses, par exemple d’atteindre un état dépressif, ou de réagir avec violence, contre le malade, mais aussi contre lui-même, au risque de perdre tout contrôle sur ses paroles et ses gestes: la maltraitance, dès lors, n'est pas loin. Dans ce cas, cet entourage devra prendre conscience qu’il faut avoir recours à du personnel spécialisé ayant reçu une solide formation ; certes, c’est une décision difficile à prendre parce qu’elle engendre un sentiment d’impuissance envers la personne souffrante, mais elle va finalement dans un sens favorable au malade et à son entourage. 
Lorsque l'entourage parvient à un plus profond état de découragement, de révolte même, il doit prendre conscience que des situations de maltraitance, de son fait, peuvent survenir à brève échéance. Nous allons revenir plus loin sur ce point important. Il faudra se résoudre à placer le malade en établissement spécialisé (ce qui est de plus en plus difficile, vu le nombre insuffisant de places, et aussi le fait que ces établissements renâclent à accueillir une personne qui n'a plus d'autonomie; j'en ai fait récemment l'expérience avec un établissement religieux).
Lorsque la séparation d'avec le malade pour un placement en milieu spécialisé devient inévitable, la souffrance initiale peut être aggravée par une nouvelle souffrance : celle de la séparation. En effet, il arrive que, pour certaines maladies invalidantes, le placement en établissement spécialisé devienne inévitable : comment préparer celui qui souffre à vivre cette séparation ? La famille elle-même ne sera sans doute pas exempte de subir et de partager cette souffrance ; le sentiment de ne pas avoir fait tout ce qu’il y avait à faire pourra engendrer des regrets insupportables, à tort ou à raison. Il en est de même quand la mort provoque l’irréparable séparation.
Enfin, l’entourage du souffrant sera-t-il compatissant ou non, et si oui jusqu’à quel point ? Quelquefois, l'entourage proche est contraint de se montrer ferme, dur et intransigeant, si c'est pour le bien de celui qui souffre. N'arrive-t-il pas que des malades refusent tout ou partie du traitement médical qui leur a été prescrit? Et que dire du refus de s'alimenter correctement pour garder des forces pour affronter la maladie? Se montrer ferme, dur et intransigeant n'est pas facile, mais c'est très souvent nécessaire, sinon vital pour le malade.
Il nous reste à examiner deux points relativement importants: l'hypocondriaque d'abord, et la question difficile qui est de dire ou non la vérité au malade sur son état de santé. L’hypocondriaque est une personne qui est maladivement attentive au moindre signe que lui donne son corps, signe dont elle exagère la signification. Cette personne se croit malade à partir d’une invention ou d’une exagération de symptômes bénins. Le diagnostic rassurant de son médecin est sans effet, la personne ne lui fait pas confiance, et il arrive fréquemment qu’elle change de médecin. Cet état maladif prend de telles proportions que la vie familiale, sociale et professionnelle en est profondément affectée. Il en résulte deux conséquences : la personne peut devenir tellement stressée qu’elle risque la dépression, et l’entourage peu à peu se lasse et devient sourd et indifférent à ses lamentations.
Autre question difficile: faut-il dire au malade la vérité sur son état de santé? Grave et difficile question. Je connais une personne très proche qui garde en mémoire une situation douloureuse qu'elle a vécue. Plus de quarante ans après les évènements, elle manifeste des regrets sincères et profonds de n'avoir pas dit la vérité à sa mère, car à l'époque l'influence autoritaire de son père avait été la plus forte. En réalité, la maladie exerce une influence très forte sur la vie affective et la vie matérielle. Les réactions sont multiples et diverses, aussi bien chez le malade que dans son entourage. Dire ou non la vérité nous semble constituer une décision très difficile, qui doit être mûrie et dont on doit peser les conséquences avec soin; la coopération du corps médical est indispensable. La personnalité du malade joue un rôle important: il y a celui qui a une âme de battant (pour ne pas dire de combattant), il y a celui que la moindre difficulté déprime et abat. C'est l'intérêt du malade qui prime tout, mais qui en est juge, qui est sûr à l'avance de l'effet de la décision de dire la vérité au malade?
La maltraitance
Nous avons fait une brève allusion à la maltraitance. De quoi s'agit-il et comment se manifeste-t-elle?
Souvent, les personnes maltraitantes n’ont pas conscience de porter atteinte au malade ou à la personne handicapée. « Ce crime odieux survient souvent dans le secret des espaces privés, ce qui rend encore plus nécessaire sa dénonciation publique dans les termes les plus forts », a expliqué M. Ban Ki-moon, secrétaire général de l’ONU, pour souligner l’importance du sujet. Notons que les cas de maltraitance peuvent être signalés en France sur le numéro d'appel 3977.
Au-delà de la violence visible, c'est-à-dire la maltraitance physique ou financière (abus de la faiblesse de la personne pour lui soutirer de l’argent), ce sont les petits «mauvais traitements » de la vie courante qui pèsent sur les malades. par exemple, il y a un type de violence plus difficilement identifiable qui semble regrouper la majorité des cas de maltraitance. Il s’agit de la négligence au quotidien qui altère le bien-être des malades et handicapés, principalement des plus âgés. On désigne ces cas par l'expression: "maltraitancepar inadvertance » Citons l'indifférence plus ou moins volontaire  envers le malade, le non-respect de l’intimité de la personne, les humiliations, le manque d’hygiène. Ces maltraitances sont rarement le fait de personnes foncièrement méchantes, et souvent ces personnes n’ont pas conscience de la portée et des conséquences de leur comportement sur l'état du malade et l'évolution de sa maladie. Il faut, bien au contraire, maintenir une attention aimante et constante de la part de l'entourage; j'ai personnellement constaté, pour la personne qui m'est confiée, une évolution de la maladie, ralentie, voire freinée. Mais que c'est dur!
Où commence la maltraitance? Menacer d’une privation quelconque, est-ce du chantage, une maltraitance psychologique, ou la seule solution trouvée pour qu’une personne accepte de se nourrir par exemple? Consulter le site du 3977, numéro national, peut se révéler utile pour dissiper le doute. La « petite maltraitance » (!) est le reflet du peu de considération que notre société accorde à l'autre, en particulier aux personnes les plus âgées. Mais, hélas, il faut bien être conscient que la "petite maltraitance" peut évoluer et dégénérer en violence, et dans les situation les plus graves atteindre le stade de la cruauté, même si celui qui l'exerce n'en est pas forcément conscient.

Isolement social, solitude
J'ai évoqué précédemment le vide progressif qui se crée autour du malade. Pour ce "vide", il faut distinguer deux types de situations: la solitude, l'isolement social.
La solitude est l'état, ponctuel ou durable, d'un individu qui n’est engagé dans aucun rapport avec autrui. Être seul, c'est être isolé du reste de la société. La solitude n'a pas le même sens selon qu'elle est choisie ou subie. La solitude est une souffrance véritable lorsqu'elle n'est pas choisie. Il y a pire: c'est le cas d'un individu qui se sent seul même lorsqu'il est entouré, car on peut être seul au sein d'un groupe amical ou familial. La solitude semblerait s'être intensifiée au fil de la modernisation. Dans les sociétés développées, la solitude s'est largement répandue parmi une catégorie d'individus : les séniors, qui  sont particulièrement vulnérables. Vulnérables par la baisse de leurs capacités physiques et intellectuelles liées à l'âge. Vulnérables également par les agissements d'une frange de la société moderne: les délinquants et les criminels, dont la télévision et les journaux relatent presque quotidiennement leurs méfaits.
L'isolement social désigne un manque d'interactions sociales en raison de divers facteurs psychologiques et physiques. C'est une source de souffrances. Cette situation survient lorsqu'un individu présente un lourd handicap, mais pas seulement, ainsi que dans le cas de certaines maladies. Des membres de l'entourage proche du malade, des amis et des connaissances prennent leurs distances: visites de plus en plus espacées, téléphone silencieux, courrier rare. Ces personnes ne mesurent pas, hélas, les conséquences dramatiques de leur comportement qui engendre anxiété, peur panique, troubles alimentaires, etc. L'isolement social peut entraîner des risques médicaux et psychiques, et d'autres risques plus ou moins nocifs pour la santé. Pourquoi ce comportement? Peur de la contagion? Peur de ne pas savoir quoi dire au malade? Indifférence, manque de charité, coeur sec, quoi encore?
On voit donc que la solitude et l'isolement social sont lourds de conséquences néfastes pour le malade. Le malade est en quelque sorte rejeté, et ce rejet peut avoir un effet négatif, particulièrement d'ordre psychologique tel que le repli sur soi-même, une faible estime de soi, voire le dégoût de la vie, voire une dépression. Cela peut également entraîner un sentiment d’insécurité et une haute sensibilité morale à de futurs rejets, réels ou imaginaires.
À suivre ….


Le vendredi  28 avril 2017

lundi 24 avril 2017



"Venez à moi et je vous soulagerais"


28 “Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos"    (Mt 11, 28-30)”

Candide avait annoncé à son ami Théophile qu'elle partait en stage à l'étranger pendant trois mois, en Irlande  à Dublin, afin de perfectionner son anglais et suivre en même temps une formation scientifique dans un domaine assez "pointu". Théophile et Candide n'avaient jusqu'ici jamais évoqué cet aspect de la vie de Candide.
Aussi, notre ami était-il libre de son temps, car son activité en paroisse était assez faible. Théophile avait eu des nouvelles de son ami Louis. Souvenons-nous que Louis avait demandé un conseil au Père Stanislas à propos de la situation difficile que lui et son épouse vivaient. La santé de son épouse, atteinte d'une maladie dégénérative, s'était aggravée depuis cet entretien et lui-même suivait un traitement médical très strict en raison de la défaillance de plusieurs de ses organes vitaux. Il était évident que Louis vivait une situation très difficile, nerveusement, physiquement et moralement.
C'est pourquoi, en relation avec Myriam, une paroissienne chargée de suivre des malades signalés à la paroisse, et avec le Père Stanislas, Théophile avait entrepris une réflexion sur le thème de la maladie, notamment sur la solitude et l'isolement du malade et de son proche entourage.
C'est cette réflexion que nous vous livrons, aujourd'hui et dans les dimanches qui suivront.
Les situations évoquées dans ce texte sont réelles; elles ont été rencontrées et vécues par l’auteur. Aujourd'hui encore, il vit lui-même une situation difficile qui dure depuis cinq ans et n'offre aucune perspective d'amélioration: aggravation de l'état de santé de son épouse, solitude puis maintenant isolement social, fatigue pour ne pas dire épuisement, désespoir, mais aussi révolte contre ceux qui sont censés pratiquer la charité. La vie actuelle de ce couple âgé (plus de 80 ans) est si morne!
Pour des motifs évidents de discrétion et de respect envers ceux qui les ont vécues ou les vivent encore, aucun nom et aucun lieu ne seront mentionnés permettant de les identifier.


Face à la maladie
Des questions 
C'est Théophile qui rapporte ici les pensées que lui suggère le thème choisi: la maladie et ses conséquences. 
Ce texte trouve son origine  dans une conversation que moi, Théophile, j'avais tenue avec des amis, il y a une quinzaine d'années, en octobre 2010  à propos de la souffrance d’une personne de leur entourage, que les médecins étaient impuissants à soulager. Pour cette malheureuse, ils estimaient qu’il n’y avait que deux issues possiblesla folie ou le suicide. Devant une telle détresse, aussi bien de la malade que de son entourage, on mesure combien les mots sont difficiles à trouver, et de toute façon trop faibles ou inadaptés. Les limites de ma charité me sont cruellement apparues alors. Voilà pourquoi, aujourd'hui, j'entreprend de réfléchir sur la maladie, et tout particulièrement sur un aspect douloureux; "Quand la maladie est source d'isolement", isolement du malade, isolement des proches qui sont chargés du malade, isolement social et solitude.
La souffrance est entrée dans ma vie avec les problèmes de santé de mon épouse. Un accident vasculaire cérébral (AVC), sans grande gravité apparente pourtant, a eu des effets durables sur sa santé, et l’avenir s’annonce très sombre, des examens approfondis ayant permis d’établir un diagnostic qui ne laisse aucun espoir d’amélioration. Les étapes de la dégénérescence sont prévisibles ; leurs durées respectives relèvent de la plus grande incertitude.
En cinq ans, rien ne lui a été épargné : une chute provoquant quatre fractures (probablement due à l’AVC), zona, hémorragie nasale effrayante entraînant une baisse anormale des globules rouges pendant plusieurs mois. En quatre ans, j'ai constaté un très fort affaiblissement de la motricité de ses membres inférieurs: aujourd'hui elle est incapable de marcher, même si on l'aide. Quant à la mémoire, elle est de plus en plus défaillante, et la compréhension des propos qu'on lui tient est incertaine. Un état dépressif semble s’installer parfois, quand cet être cher prend conscience de son état. Certains signes précurseurs sont inquiétants. La maladie dégénérescente, puisqu'il faut la nommer ainsi, se traduit par une dégradation lente et irréversible de l'état physique et des facultés mentales, dégradation qui se manifeste par paliers plus ou moins longs, mais inexorablement descendants.
Dans ces conditions surgissent inévitablement des questions bien connues des médecins et des religieux. Pourquoi un tel acharnement du sort ? Et Dieu dans tout cela ? Comment la foi chrétienne peut-elle permettre de vivre et de surmonter de telles situations ? Comment résister au désespoir et ne pas perdre toute espérance, en Dieu et dans la vie ? Comment exercer la charité au sein du couple? Et les relations sociales, quoi en dire? 
Enfin, petites précisions: je ne suis ni médecin, ni psychologue, ni psychiatre, mais seulement ingénieur électricien à la retraite et diacre permanent retiré, c'est-à-dire sans mission en Église. Par ailleurs, je n'ai reçu aucune formation théologique; je suis un autodidacte en la matière, ce qui pourrait expliquer certaines faiblesses que des érudits seraient à même de découvrir, et s'il leur plaît de me les signaler, je leur en saurais gré.
Maladie et souffrance
Soyons clairs sur mes intentions : aborder le thème de la maladie et de la souffrance est un exercice difficile et périlleux, même quand on a vécu intensément, au moins une fois dans sa propre chair ou dans ses affections, la maladie grave et la souffrance qui en découle. Mais pour moi qui vit des jours de plus en plus difficiles, commencent à se révéler leurs conséquences : physiques, nerveuses, morales et spirituelles.
Je n'ai pas la prétention de donner des recettes miracles, mais plutôt des pistes de réflexion; qui dit pistes, dit évidemment découvertes, faites ou à faire. À chacun de les méditer et, si besoin est, de les adapter et de les mettre en pratique selon sa propre sensibilité et selon la situation qu’il vit ou côtoie.
La maladie, quelle qu'elle soit, s’accompagne souvent de souffrances, plus ou moins vives, aux manifestations très diverses. Essayons de donner une définition du mot souffrance, définition forcément incomplète, et peut-être contestable. Par souffrance, on entend généralement un état, physique ou mental, ou les deux à la fois, où la personne malade doit supporter des douleurs pénibles, voire intolérables, aussi bien dans son corps que dans son esprit, pour un temps limité ou non. La souffrance d’une personne n’épargne pas son entourage ; la vie affective, sociale, et professionnelle s’en trouve souvent bouleversée, avec le cortège de ses développements moraux, voire spirituels. La vie en société en est affectée, et il n’est pas rare de voir se rétrécir comme une peau de chagrin le cercle des amis et des relations. La souffrance entraîne aussi des obligations matérielles et financières, qui peuvent se révéler insurmontables.

Il faut distinguer entre la souffrance et la douleur. La douleur revêt deux aspects :
physique, ce sera par exemple la nausée, les manifestations asthmatiques, les démangeaisons, les maux d’estomac, etc.;
- mentale, on évoquera l’anxiété, l’angoisse, la dépression, le deuil, la haine, etc.
La souffrance recouvre toute une gamme de degrés, depuis ce qui est plus ou moins supportable qui affecte les activités courantes, jusqu’à devenir insupportables et intolérables, ce qui peut pousser le malade à mettre un terme à la souffrance par n’importe quel moyen. En même temps, deux autres facteurs sont à prendre en considération : la durée et la fréquence.
Devant la souffrance et les douleurs, les personnes ne sont pas à égalité. On sait que, durant la Seconde Guerre mondiale, des combattants faits prisonniers par l’ennemi ont été torturés ; certains ont « parlé », d’autres pas. La force morale d’une part, la sensibilité physique à la douleur d’autre part, ont conduit à ces comportements opposés. Gardons-nous bien de juger !
Ainsi, face à la souffrance, les réponses des personnes malades et de son entourage  seront différentes, selon qu’elles la ressentiront comme plus ou moins légère, inévitable ou non pour notre nature humaine, subie avec résignation ou révolte, avec détermination ou accablement, méritée ou imméritée, sans espoir de voir la souffrance s’atténuer ou disparaître, enfin impossible de ne pas songer à la mort.
Pour élargir le champ de la réflexion, nous considérerons deux points de vue : celui de la personne qui souffre, et celui de son entourage au sens large du terme. Cela nous conduira à parler de compassion et de bien d’autres aspects : moraux, philosophiques et religieux.
Les facteurs qui entrent en jeu dans la souffrance
De notre point de vue, quatre facteurs entrent en jeu dans une situation de souffrance: ce sont la culture, la philosophie, la morale et la religion. Nous rappelons encore que nous ne sommes pas spécialiste en ces matières; nous avons reçu une  formation scientifique, dont le domaine principal fut l'électricité, associée plus tard à une conversion vers l'électronique et l'informatique. Avant d’aborder ces points qui apporteront quelques éléments de réponse, il est nécessaire de recenser les questions qui se posent à celui qui souffre, et subsidiairement à son entourage. Nous n'avons aucunement la prétention d'être exhaustifs.

Questions qui se posent en cas de maladie
La maladie, avec son cortège de souffrances et de douleurs, pose un problème aux hommes de tous les temps. Leur réponse dépend de l'idée qu'ils se font du monde où ils vivent, des forces qui les dominent, et aussi de l'état d'avancement de leurs connaissances. La maladie est cause de ruptures, d’abord dans le corps, puis au plan psychologique, ruptures aussi avec l'environnement familial, social et professionnel, qui conduiront le malade dans une solitude et un isolement plus ou moins profonds, suivis souvent de découragement, de désespoir et de révolte, puis peut-être de résignation, et quelquefois, hélas, de désir de mort. Nous ne sommes pas égaux dans le combat contre la maladie. Tous ces sentiments de rupture envahissent l'âme: pour le croyant, ils atteignent la relation à Dieu, ils entraînent un sentiment d’injustice.
Il est indispensable de rester lucide, car nous savons tous que, si le chemin de la guérison commence avec l’acceptation du mal, accompagnée de persévérance et de courage, ce chemin ne s’achèvera par la guérison du corps que si la nature s’y prête et y consent, pour tendre enfin à la joie de la guérison totale, comme l’entendent dans la religion chrétienne saint Paul (Ph 4,4 : Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur) et saint Matthieu (Mt 5,12a : Soyez dans la joie et l'allégresse).
Il faut s’efforcer de rester lucide, et c’est incontestablement difficile : j'ai connu un brillant ingénieur, grand sportif, qui a refusé d’admettre son cancer pendant des mois. Avec lucidité, quand la maladie frappe, surtout si elle est grave, elle provoque en premier lieu trois questions : "Pourquoi?", "pourquoi moi?...", "pourquoi j’en suis là ?...", bientôt suivies, si  la guérison totale ne peut être espérée, par la question : «comment vivre avec ?», surtout s'il y a plus ou moins de séquelles invalidantes. Plusieurs conditions sont indispensables pour affronter l'avenir: lucidité du malade et de son entourage, réserves des médecins quant à l’issue heureuse de la maladie, impuissance des techniques médicales à faire disparaître la maladie, ses causes et ses effets. 
Cet ensemble de questions ouvre sur des horizons philosophiques, moraux et religieux, que j'aborderai plus tard. Mais d'abord, envisageons la situation devant laquelle chacune de ces questions place le malade et ses relations familiales et sociales.
Pourquoi ? Au coeur de toute souffrance éprouvée par l'homme apparaît inévitablement la question: pourquoi? C'est une question sur les causes de la maladie; c'est en même temps une question sur le but (pour quoi) et, en définitive, sur le sens de la  vie. Non seulement cette question accompagne la souffrance humaine, mais elle semble aller jusqu'à en déterminer le contenu.
Évidemment, la douleur, spécialement la douleur physique, est largement répandue dans le monde des animaux. Mais seul l'homme, en souffrant, sait qu'il souffre et se demande pour quelle raison; et il souffre d'une manière humainement plus profonde encore s'il ne trouve pas de réponse satisfaisante. C'est là une question difficile,comme l'est cette autre question, très proche, qui porte sur le mal: pourquoi Dieu reste inactif devant le mal? 
Autorisons-non une petite digression à propos du mal. Dans la Bible. le livre de Job constate que le mal frappe en aveugle, sans faire de différence entre bons et méchants. Il y donne quatre exemples dont la source est d'origine humaine comme un acte terroriste, ou d'origine naturelle comme un séisme par exemple. Et même, comme dit Job, bien souvent les méchants restent en vie, alors que les innocents en sont les premières victimes. Ainsi défini, le mal est un scandale, et la maladie et la souffrance qui relèvent de la nature sont bien le mal. Nos explications s’effondrent devant la réalité, quand le mal nous saute à la figure. Henri Bergson (1859-1941) faisait justement remarquer:
«Le philosophe (ou le scientifique) peut se plaire à des spéculations de ce genre dans la solitude de son cabinet: qu’en pensera-t-il, devant une mère qui vient de voir mourir son enfant? Non, la souffrance est une terrible réalité, et c’est un optimisme insoutenable que celui qui définit a priori le mal, même réduit à ce qu’il est effectivement, comme un moindre bien.»
Arrêtons là notre digression, qui n'est pas inutile. Ces questions sur la souffrance et le mal sont l’une et l’autre difficiles, quand l’homme les pose à l’homme, et aussi quand l’homme les pose à DieuQuand nous sommes malades, nous faisons l'expérience de notre fragilité: nous la vivons presque toujours  dans notre famille, dès l’enfance, puis surtout en tant que personnes âgées, lorsque nous devenons plus ou moins dépendants. La maladie des personnes que nous aimons est vécue avec une souffrance personnelle, quelquefois avec angoisse. C’est l’amour qui nous fait ressentir l'acuité de ce "Pourquoi?"  
Qu'en pense celui qui croit en un Dieu? Pourquoi la maladie, la souffrance, le mal?Quelle que soit sa religion, l’homme croyant, s’il pose cette question au monde, la pose aussi à Dieu comme Créateur et Seigneur du monde. Et l’on sait bien que, sur ce terrain, non seulement on arrive à de multiples frustrations et conflits dans les rapports de l’homme avec Dieu, mais il peut se faire aussi que l’on arrive à la négation même de DieuSi, en effet, l’existence de l'univers ouvre le regard de l’âme humaine à l’existence de Dieu, à sa sagesse, à sa puissance et à sa magnificence, le mal et la souffrance viennent obscurcir cette image, parfois de façon radicale, et plus encore lorsqu’on voit le drame quotidien de tant de souffrances sans qu’il y ait eu faute de la part des victimes, et de tant de fautes sans punitions appropriées en retour. Aussi cette situation, plus qu’aucune autre peut-être, ne montre-t-elle pas combien importe la question du sens de la souffrance, et celle du mal, et avec quelle exigence il faut examiner ces questions et toute réponse possible?
Éternelles questions, auxquelles personne n'a répondu de façon satisfaisante et complète. Y aura-t-il un jour futur où sera donnée en ce monde une réponse ? Souvenons-nous du livre de Job, dans l’Ancien Testament. Job est confronté au mal et à la maladie.
Au milieu de tous ces malheurs, Job ne commit pas de péché. Il n’eut pas la folie de faire des reproches à Dieu.(Jb 1,22)
Certes, Job fait preuve d’un grand courage et d’une vraie foi en Dieu. Cependant, plus loin dans ses réflexions, Job se plaint amèrement:
Job maudit le jour de sa naissance. Il parla ainsi : » Qu’ils périssent, le jour qui m’a vu naître et la nuit qui a déclaré : 'Un homme vient d’être conçu !' Pourquoi ne suis-je pas mort dès le ventre maternel, n’ai-je pas péri aussitôt après ma naissance? Maintenant, je serais étendu dans le calme, je dormirais d’un sommeil reposant… Ou bien, comme l’enfant mort-né, je n’aurais pas connu l’existence… Pourquoi donner la vie à l’homme qui ne trouve plus aucune issue, et que Dieu enferme de toutes parts ?»    (Cf. Jb 3)
En effet. Pourquoi recevoir la vie si c’est pour souffrir, pour être malheureux, pour être opprimé et persécuté ? Ce pourquoi  exprime la vanité de l’existence, il exprime le rejet de toute consolation en un monde meilleur. Il exprime aussi l’impossibilité d’une explication à notre pauvre échelle humaine. Le croyant parle de « mystère » : seul Dieu sait, mais se tait. Pourtant, pour le chrétien, Dieu est venu prendre notre condition humaine, il a souffert, il est mort, et surtout il est ressuscité : voilà le signe que Dieu a donné aux disciples de son Fils, Jésus le Christ, voilà ce qui constitue l’espérance du chrétien. En attendant la vie future promise, il faut assumer avec courage et foi notre condition humaine.

Pourquoi moi ? Un jour, mon patron, que j'avais trouvé très déprimé, m'a raconté qu’il avait rendu visite la veille à sa mère atteinte d’un cancer. Lui et sa mère avaient toujours vécu dans une tendre relation de mère à fils. Et cependant, lors de cette visite, le fils avait découvert le regard de haine que sa mère posait sur lui. Il avait bien employé le mot : haine. Il ne mettait aucune exagération verbale en employant ce mot. C'était pour lui une souffrance insupportable, une blessure terrible. Sans aller jusque-là, il faut bien convenir que le malade qui souffre peut être tenté de regarder ceux qui sont en bonne santé avec envie, trouvant dans son entourage bien portant une source d’injustice : « pourquoi moi ? » "Et eux, pourquoi échappent-ils à ce qui me frappe?" Question qui montre bien la profondeur de la détresse du malade. Être frappé en notre corps, quand autour de nous s'agite un monde sans souffrance, est inévitablement ressenti comme une injustice, surtout si la maladie est grave, surtout si on craint de n'avoir plus de longues années à vivre:
"J'ai toujours vécu sobrement, sans faire d'excès d'aucune sorte, j'ai fait du sport ...", et "voyez celui-là (ou celle-là) qui se porte comme un charme alors qu'il mène une vie de patachon et d'excès! L'alcool, le tabac, et le reste ... Alors que moi ..."
Bien sûr, une telle attitude se comprend, mais elle fait abstraction de bien des choses. Quelle réponse apportera l'entourage?
Pourquoi j’en suis là ?Quand la maladie se prolonge, l'avenir s'assombrit, il est incertain; la médecine reste plus ou moins évasive, l'entourage se montre réconfortant, plus ou moins adroitement, l'atteinte à la santé est perçue comme irréversible. Que pense le malade de tout cela?
Tenez, je vous livre une découverte me concernant directement. Ayant eu une maladie, somme toute ordinaire, guérissable sans trop de difficulté, une analyse génétique, indispensable pour préciser le diagnostic et préserver l'avenir, a montré, sans doute possible, que j'étais porteur d'un gène redoutable; il est en moi, tapi comme un ennemi très dangereux, menaçant chaque instant ma vie. D'où vient-il? D'un de mes parents biologiques? D'une mutation génétique? Qu'en est-il du patrimoine génétique de mes enfants et petits-enfants? [question qui les amena à une analyse identique]. Cette découverte a changé mon regard sur la vie. Jusque-là, je n'avais rien eu de bien terrible, hormis quelques crises de colique néphrétique bien douloureuses, deux ou trois fractures: et voilà qu'en moi il y a une sorte de bombe à retardement, qui peut se déclencher n'importe quand, n'importe où, mais qui menace ma vie; supplice de l'épée de Damoclès! Cela m'a conduit à réexaminer ma manière de vivre, ma manière d'aimer les miens, à me soucier des conséquences sur le mode de vie des miens au cas où cette bombe exploserait. Et tout naturellement, cette découverte m'a conduit à me poser la question : comment vivre avec?

Comment  vivre  avec ?Quand aucune guérison ne peut être espérée, comment vivre avec sa maladie ou son handicap, ou encore avec un patrimoine génétique à risque? La gravité des séquelles peut conduire à un bouleversement total des conditions de vie, de l'habitat, des déplacements plus ou moins restreints, des moyens d'expression, des activités physiques (écriture, bricolage, sport, etc.) 
"Comment vivre avec" quand il n’y a plus d’espoir de retrouver l’état de santé antérieur? La guérison totale n’étant plus envisageable, l’organisation d’un nouveau mode de vie doit être mise en place. Par exemple, les voyages en avion de plus de deux heures me sont strictement interdits. Cela se fera-t-il sans bouleversement notable ? Faut-il se résoudre à vivre en maison d’accueil spécialisée ? Quelles incidences financières cela va-t-il avoir ? Comment la famille et les amis accepteront-ils ce changement ? Et pour mon travail? Quelles séquelles plus ou moins graves sont possibles? Comment envisager la vie du malade au milieu de son entourage proche, et de la société en général?
Voilà autant de questions, et bien d’autres sans doute qui ne vont pas contribuer à faciliter la vie du malade ni celle de son entourage, et qui, dans l’immédiat, peuvent conduire à des moments très pénibles de découragement et de peur de l’avenir. On parle beaucoup de solidarité, rarement de charité, on parle, on parle ... mais notre monde est un monde indifférent, sauf rares exceptions, très rares. Alors? Comment vivre avec ma maladie alors que je vis dans la solitude, sans consolation de mes frères humains? Et Dieu, dans tout cela? Dans la maladie de mon épouse handicapée et qui peu à peu s'affaiblit en chair et en esprit, je pense à Job et à ses "chers" amis, à ceux que le psaume 40(41),7 évoque (Si quelqu'un vient me voir, ses propos sont vides), mais tout cela ne me réconforte pas.
….. À suivre 
*****
Illustration
Job : Livre d'heures de Henri II


Le lundi 24 avril 2017