mercredi 15 février 2017

La maladie peut-elle être source d'isolement?




Les entretiens du dimanche
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La maladie peut-elle être source d'isolement ?

         Lors d'un entretien précédent, Louis était venu se joindre à nos amis. Sans que Théophile le sache, Louis avait demandé un conseil au Père Stanislas à propos de la situation difficile que lui et son épouse vivaient. Son épouse est atteinte d'une maladie dégénérative, et lui-même est malade et très fatigué. Louis est résolument opposé à l'idée de mettre son épouse en maison de santé ou d'accueil, car il a vécu une expérience peu rassurante avec son frère, aujourd'hui décédé. Tout cela lui crée bien des soucis et il n'envisage pas l'avenir avec sérénité.
         Le Père Stanislas avait réfléchi à tout cela, et il en avait parlé à Théophile. Aussi, tous deux avaient-ils décidé de demander à une paroissienne de venir leur parler des conséquences de la maladie sur la vie quotidienne, et en particulier sur celle d'un couple confronté à la solitude. Myriam, tel est son prénom, a accepté et ce dimanche elle participera à l'entretien de Théophile avec Candide, auquel se joindra le Père Stanislas.
         Les situations évoquées dans cet entretien sont réelles; elles ont été vécues par l'auteur et son épouse. Aujourd'hui encore, ils vivent une situation difficile qui dure depuis cinq ans et n'offre aucune perspective d'amélioration. L'expérience acquise est plutôt attristante.

*****

Candide arriva, toujours aussi dynamique, et en vélo malgré le froid.
-"Bonjour à tous." lança-t-elle, avec un beau sourire.
-"Bonjour Candide. Tu connais le Père Stanislas. Je te présente Myriam: elle est mariée, elle a quatre enfants qui l'occupent beaucoup, et malgré ses occupations familiales, elle est bénévole dans un groupe de la paroisse qui a en charge les malades et les pauvres. Autant te dire qu'elle est très occupée, mais heureusement aussi très organisée!"
-"Ravie de vous connaître" lui dit Candide en la saluant.
-"Moi de même. Le Père Stanislas et Théophile m'ont un peu parlé de vous. J'admire votre courage et votre persévérance." ce qui fit légèrement rougir de plaisir notre amie Candide.

Le Père annonça le programme de l'entretien, en s'adressant à Candide: "Candide, nous avons souhaité parler aujourd'hui d'une activité charitable de notre paroisse. C'est pourquoi nous avons demandé à Myriam de participer à notre réunion. Comme Théophile l'a dit, Myriam agit au sein d'un petit groupe de bénévoles qui visitent les malades qu'on nous signale et vient en aide aux pauvres, autant que nos moyens nous le permettent.
Il prit sa bible, l'ouvrit en Matthieu.
Le Christ a dit à ses apôtres et ses disciples des paroles qui guident notre action. Je cite:
"… 'Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde. Car j'avais faim, et vous m'avez donné à manger ; j'avais soif, et vous m'avez donné à boire ; j'étais un étranger, et vous m'avez accueilli ; j'étais nu, et vous m'avez habillé ; j'étais malade, et vous m'avez visité ; j'étais en prison, et vous êtes venus jusqu'à moi ! … Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait." [Mt 25, 34-40]
Le bon Samaritain

Aujourd'hui, nous mettrons l'accent sur la maladie, et tout particulièrement sur un aspect inquiétant que soulève la question que voilà: la maladie peut-elle être une source d'isolement?
Il se tourna vers Candide, et lui demanda si cela l'intéresserait. Elle répondit oui. Il fit un signe à Théophile.
Théophile, veux-tu engager l'entretien?"
-"Oui, bien sûr. C'est la situation familiale vécue par notre ami Louis qui nous a amené à poser cette question.
         La maladie est entrée dans sa vie, il y a cinq ans maintenant. Un accident vasculaire cérébral (AVC) a frappé son épouse. Il a des effets durables sur sa santé, et l'avenir s'annonce très sombre, car des examens approfondis ont permis d'établir un diagnostic qui ne laisse aucun espoir d'amélioration.
Les étapes de la dégénérescence sont prévisibles : leurs durées respectives relèvent de la plus grande incertitude.
En cinq ans, rien ne lui a été épargné : une chute avec quatre fractures, zona, hémorragie nasale effrayante entraînant une baisse anormale des globules rouges pendant plusieurs mois. Il y a trois ans, on constata un très fort affaiblissement de la motricité des membres inférieurs, la marche devint lente, mal assurée et très pénible. Aujourd'hui, elle est incapable de marcher plus de dix pas, encore faut-il qu'elle soit aidée. Quant à la mémoire, elle est quelquefois extrêmement défaillante, et la compréhension des propos qu'on lui tient est incertaine. Un état dépressif semble s'installer parfois, quand cet être cher prend conscience de son état.
Dans ces conditions, un malade et son entourage manifestent de façon variable leur inquiétude. Pourquoi un tel acharnement du sort ? Et Dieu dans tout cela ? Comment la foi chrétienne peut-elle permettre de vivre et de surmonter de telles situations ? Comment résister au désespoir et ne pas perdre toute espérance en Dieu et dans la vie ? Comment exercer la charité au sein du couple ? Et que deviennent les relations sociales?
Théophile se tourna vers Myriam.
-"Myriam, qu'en penses-tu?"
-" Hélas ! C'est bien ce que notre groupe constate. Aborder avec sérieux la maladie et la souffrance exige d'avoir vécu intensément, au moins une fois dans sa propre chair ou dans ses affections, la maladie grave et la souffrance qui en découle. Pour nous qui côtoyons des situations difficiles, commencent à se révéler leurs conséquences : physiques nerveuses morales et spirituelles.
En effet, la maladie, surtout si elle est grave, s'accompagne souvent de souffrances, plus ou moins vives, aux manifestations très diverses. Par souffrance, on entend généralement un état physique ou mental, ou les deux à la fois, où la personne malade doit supporter des douleurs pénibles, voire intolérables, aussi bien dans son corps que dans son esprit, pour un temps limité ou non.
Mais la souffrance d'une personne malade n'épargne pas son entourage : la vie affective, sociale, et professionnelle s'en trouve souvent bouleversée, avec le cortège de ses développements moraux, voire religieux. La vie en société en est affectée, et il n'est pas rare de voir se rétrécir comme une peau de chagrin le cercle des amis et des relations. La souffrance entraîne aussi des obligations matérielles et financières, qui peuvent se révéler insurmontables.
Il m'apparaît que cela correspond bien au cas de votre ami Louis, que le Père m'a rapporté."
Le Père reprit la parole : "La maladie grave soulève trois questions: pourquoi?.., pourquoi moi ?…, pourquoi j'en suis là ? …, bientôt suivies par la question : comment vivre avec ? … Plusieurs conditions sont indispensables pour affronter la vie: lucidité du malade et de son entourage, réserves des médecins quant à l'issue heureuse de la maladie, aptitude des techniques médicales à guérir la maladie, atténuer ses effets, et en supprimer la cause.
Pourquoi ? C'est une question sur les causes de la maladie : c'est en même temps une question sur la réalité de la maladie dans notre monde, et en définitive sur le sens de la vie.
Par exemple, dans la Bible, le livre de Job constate que le mal frappe en aveugle, sans faire de différence entre bons et méchants. Il y donne quatre exemples dont la source est d'origine humaine comme un acte terroriste, ou d'origine naturelle comme un séisme par exemple. Et même, comme dit Job, bien souvent les méchants restent en vie, alors que les innocents en sont les premières victimes. Ainsi défini, le mal est un scandale, et la maladie et la souffrance qui relèvent de la nature humaine font bien partie du mal. C'est ainsi, quand on n'a pas réellement souffert, que nos explications s'effondrent devant la réalité, quand le mal nous saute à la figure. Henri Bergson (1859-1941) faisait justement remarquer:
"Le philosophe (ou le scientifique) peut se plaire à des spéculations de ce genre dans la solitude de son cabinet : qu'en pensera-t-il, devant une mère qui vient de voir mourir son enfant ? Non, la souffrance est une terrible réalité, et c'est un optimisme insoutenable que celui qui définit a priori le mal, même réduit à ce qu'il est effectivement, comme un moindre bien."

Quand nous sommes malades, nous faisons l'expérience de notre fragilité: nous la vivons presque toujours dans notre famille, dès l’enfance, puis surtout en tant que personnes âgées, lorsque nous devenons plus ou moins dépendants. La maladie des personnes que nous aimons est vécue avec une souffrance personnelle, quelquefois avec angoisse. C’est l’amour qui nous fait ressentir l'acuité de ce "pourquoi?"
Un temps de silence s'installa. Candide semblait tout étonnée de découvrir cet aspect de l'engagement chrétien au service des malades.
Myriam rompit ce silence. "Il faut bien convenir que le malade qui souffre peut être tenté de regarder ceux qui sont en bonne santé avec envie, trouvant dans son entourage bien portant une source d'injustice : <pourquoi moi ?>.
"Eux, pourquoi échappent-ils à ce qui me frappe ?" Question qui montre bien la profondeur de la détresse du malade. Être frappé en notre corps, quand autour de nous s'agitent des êtres sans souffrance, est inévitablement ressenti comme une injustice surtout si la maladie est grave: "J'ai toujours vécu sobrement, sans faire d'excès d'aucune sorte, j'ai fait du sport…, et voyez celui-là (ou celle-là) qui se porte comme un charme alors qu'il mène une vie de patachon et d'excès ! L'alcool, le tabac, et le reste… alors que moi…"
Bien sûr, une telle attitude se comprend. Pour le malade, son avenir dépend des réponses qu'apportera son entourage."
-Le Père intervint: "Le rôle de l'entourage est très important en effet. Mais avant de consacrer quelques instants à cela, Myriam, pouvez-vous nous dire ce que votre expérience vous suggère aux deux questions qui restent : pourquoi j'en suis là ?… Et comment vivre avec ?"

Myriam réfléchit quelques instants puis elle poursuivit: "Quand la maladie se prolonge, l'avenir s'assombrit, il est incertain; la médecine reste plus ou moins évasive, l'entourage se montre réconfortant, plus ou moins adroitement, l'atteinte à la santé est perçue comme irréversible. Que pense le malade de tout cela? … Je crois que Théophile pourrait nous éclairer? Théophile?"
-" Oui, oui, je vais essayer. Je vous livre une découverte me concernant directement. Ayant eu une maladie, somme toute ordinaire, guérissable sans trop de difficulté, une analyse génétique fut cependant jugée indispensable pour préciser le diagnostic et préserver l'avenir. Elle a révélé, sans doute possible, que je suis porteur d'un gène redoutable : il est en moi, comme un ennemi très dangereux, menaçant chaque instant ma vie. D'où vient-il ? Mystère. Mystère de la vie. Cette découverte a changé mon regard sur la vie. Jusque-là je n'avais rien eu de bien terrible, et voilà qu'en moi il y a comme une sorte de bombe à retardement, qui peut se déclencher n'importe quand, n'importe où, mais qui menace sans contestation ma vie ; c'est le supplice de l'épée de Damoclès ! Cela m'a conduit à réexaminer ma manière de vivre, ma manière d'aimer les miens, à me soucier des conséquences sur le mode de vie des miens au cas où cette bombe exploserait. Et tout naturellement, cette découverte m'a conduit à me poser la question : comment vivre avec !
         "Comment vivre avec?" quand il n'y a plus d'espoir de retrouver l'état de santé antérieur ou quand une marche arrière est impossible comme pour moi.  La guérison totale n'étant plus envisageable, l'organisation d'un nouveau mode de vie doit être mise en place. Cela se fera-t-il sans bouleversement notable ? Faut-il se résoudre à vivre en maison d'accueil spécialisée ? Quelles incidences financières cela va-t-il avoir ? Comment la famille et les amis accepteront-ils ce changement ? Et pour mon travail ? Comment envisager la vie du malade au milieu de son entourage proche, et de la société en général?"
         -" C'est certain. Tout est bouleversé, approuva Myriam. Voilà autant de questions, et bien d'autres sans doute, qui ne vont pas contribuer à faciliter la vie du malade ni celle de son entourage, et qui, dans l'immédiat, peuvent conduire à des moments très pénibles de découragement et de peur de l'avenir.
On parle beaucoup de solidarité, rarement de charité, on parle, on parle ... mais notre monde est un monde indifférent, sauf rares exceptions, trop rares. Et le pire est encore à venir: le cercle des relations s'amenuise, et le malade et son entourage proche vont se trouver plongés dans la solitude, et pour finir dans l'isolement."

-"Et Dieu, dans tout cela? demanda Théophile. La maladie de l'épouse handicapée de Louis, femme qui peu à peu s'affaiblit en chair et en esprit, me fait penser à Job et à ses "chers" amis, à ceux que le psaume [40(41),7] évoque: <Si quelqu'un vient me voir, ses propos sont vides>. Tout cela n'est guère réconfortant."
"Permettez-moi de vous poser une question, Myriam. Avez-vous eu connaissance de cas de maltraitance?"
-"Directement? … Non, mais la maltraitance couvre des degrés variés.
Pour bien saisir le mécanisme qui conduit à la maltraitance, il faut comprendre le rôle que doit tenir l'entourage du malade, entourage qui peut ressentir les mêmes douleurs morales et spirituelles que le malade. C'est ainsi que le regard joue un rôle primordial entre le malade et son entourage.
Je n'ai pas compétence pour m'exprimer dans le domaine de la médecine. Tout être humain est appelé à souffrir dans sa vie, et cela de façon très personnelle.
Dans une situation de souffrance, il y a deux catégories de personnes qui sont concernées: le souffrant (pardonnez-moi ce substantif nouveau) bien évidemment, mais aussi l'entourage, famille, amis, compagnons de travail, et le (ou les) médecin. On peut concevoir que chacun de ces protagonistes réagira différemment selon sa culture, sa philosophie de la vie, sa religion, et sa morale. On peut concevoir aisément que si le souffrant est gagné à un certain moment par le découragement et la lassitude, avec peut-être la tentation de «tout laisser tomber», il en va de même pour son entourage proche et ses amis ou connaissances. Combien de malades, atteints de maladie grave, constatent amèrement le vide progressif qui se fait autour d'eux ! La solitude laisse alors la place à l'isolement social.
Le malade peut prendre plus ou moins conscience de la dégradation de son état. Il ressent alors une intense douleur morale et spirituelle, et aussi l'humiliation de ne plus être autonome. Son inutilité et sa dépendance sont pour lui un lourd fardeau. Son entourage se trouve placé dans les mêmes conditions. Certaines situations transforment la vie ordinaire en enfer quotidien, comme par exemple pour celui qui a la charge directe du malade, celui qu'aujourd'hui on appelle «aidant». À ce propos, savez-vous qu'en France un aidant sur trois meurt d'épuisement avant celui qui l'aide ? [Cette remarque jeta la consternation dans le petit groupe.]

         Myriam poursuivit : "Dans la souffrance, l’être de chair, d’esprit et d'âme qu'est l'être humain, engage un combat contre la souffrance, mais aussi contre lui-même. Les psychologues savent bien que la maladie a des répercussions sur l’être psychique. À l’inverse, une souffrance psychique va se répercuter sur l’être physique. L’engrenage des souffrances vient de naître. Quand l’être psychique est atteint, tout devient possible, jusqu’à la dépression, voire l’autodestruction.
Ainsi, la fatigue, l'épuisement physique et moral, l'avenir sans espérance, voilà les conditions réunies pour que survienne la maltraitance."
Myriam se tut un long moment. Tous respectèrent son silence, car tous savaient qu'elle avait vécu des instants poignants. Enfin, elle reprit son exposé:
         "La maltraitance. De quoi s'agit-il et comment se manifeste-t-elle? Souvent, les personnes maltraitantes n’ont pas conscience de porter atteinte au malade ou à la personne handicapée. Au-delà de la violence visible, c'est-à-dire la maltraitance physique, ou financière (abus de la faiblesse de la personne pour lui soutirer de l’argent), ce sont les petits «mauvais traitements » de la vie courante qui pèsent sur les malades. Il existe, hélas, une violence plus difficilement identifiable qui semble regrouper la majorité des cas de maltraitance. Il s’agit de la négligence au quotidien qui altère le bien-être des malades et handicapés, principalement des plus âgés. On les appelle "maltraitances par inadvertance": citons l'indifférence plus ou moins volontaire envers le malade, le non-respect de l’intimité de la personne, les humiliations, le manque d’hygiène. Ces maltraitances sont rarement le fait de personnes foncièrement méchantes, et souvent ces personnes n’ont pas conscience de la portée et des conséquences de leur comportement sur l'état du malade et l'évolution de sa maladie. Il faut, bien au contraire, maintenir une attention aimante et constante de la part de l'entourage.
Où commence la maltraitance? Menacer d’une privation quelconque, est-ce du chantage, une maltraitance psychologique, ou la seule solution trouvée pour qu’une personne accepte de se nourrir par exemple? Il faut bien être conscient que la "petite maltraitance" peut évoluer et dégénérer en violence, et dans les situation les plus graves atteindre le stade de la cruauté, même si celui qui l'exerce n'en est pas forcément conscient."
- Le Père, Théophile et Candide s'écrièrent, tous ensemble : "Ce que vous nous dites est effrayant! Est-ce vraiment possible, Myriam?"
-" Oui, hélas ... Dans cette spirale de souffrances, l'entourage ne peut pas seulement se contenter d'assister à l'évolution des choses; il doit prendre conscience que lui-même est engagé dans le combat, quoi qu'il lui en coûte. Tout membre de l'entourage, qui aime vraiment celui qui souffre, souffre également ; quelquefois, voir souffrir un malade sans pouvoir soulager sa souffrance provoque une souffrance aux limites du tolérable.
Dans le regard du malade, on discerne souvent comme un appel au secours, mais aussi la peur d'être abandonné, la souffrance aussi de se savoir dépendant et de mesurer tous les soucis et difficultés qui résultent de son état pour ceux qui l'assistent. On n'imagine pas l'importance du regard! Savoir déchiffrer un regard est chose difficile."
Très émue, au bord des larmes, Myriam se tut à nouveau … elle se ressaisit et continua son propos :
"Lorsque l'entourage parvient à un profond état de découragement, de révolte même, il doit prendre conscience que des situations de maltraitance, de son fait, peuvent survenir à brève échéance. Il faudra se résoudre alors à placer le malade en établissement spécialisé, ce qui est de plus en plus difficile, vu le nombre insuffisant de places. Et pire, malheur à ceux qui ne sont plus autonomes! Des institutions, même parmi les plus charitables, se refusent à accueillir des personnes non autonomes, surtout les plus âgées; j'en ai fait la triste expérience.
         Comment préparer celui qui souffre à vivre cette séparation ? La famille elle-même ne sera sans pas exempte de subir et de partager cette souffrance ; le sentiment de ne pas avoir fait tout ce qu'il y avait à faire pourra engendrer des regrets insupportables. Il en est de même quand la mort provoque l'irréparable séparation.
Voilà ce que je peux vous dire, ce que je tire de mon expérience de bénévole au service des malades."
-"Merci, Myriam. J'ai rarement entendu parler de la maladie en ces termes, précisa le Père Stanislas. Se tournant vers les participants: "Alors, quelle réponse pouvons-nous donner à la question qui nous préoccupe: la maladie peut-elle être une source d'isolement?"
Chacun s'exprima, et la réponse fut un oui général.
*****
Prolongement donné à cet entretien

En effet, dans les cas de maladie grave ou de longue durée, un vide progressif se crée autour du malade et de son "aidant". Mais ce "vide" comprend deux niveaux: la solitude d'une part, l'isolement social d'autre part. Précisons ce que recouvrent ces deux concepts.

La solitude est l'état, ponctuel ou durable, d'un individu qui n’est engagé dans aucun rapport avec autrui. Être seul, c'est être isolé du reste de la société. La solitude n'a pas le même sens selon qu'elle est choisie ou subie. La solitude est une souffrance véritable lorsqu'elle n'est pas choisie. Il y a pire: c'est le cas d'un individu qui se sent seul même lorsqu'il est entouré, car on peut être seul au sein d'un groupe amical ou familial. La solitude semblerait s'être intensifiée au fil de la modernisation. Dans les sociétés développées, la solitude s'est largement répandue parmi une catégorie d'individus, les séniors, qui sont particulièrement vulnérables. Vulnérables par la baisse de leurs capacités physiques et intellectuelles liées à l'âge. Vulnérables également par les agissements d'une frange de la société moderne: les délinquants et les criminels, dont la télévision et les journaux relatent presque quotidiennement leurs méfaits.
L'isolement social désigne un manque d'interactions sociales en raison de divers facteurs psychologiques et physiques. Cette situation survient lorsqu'un individu présente un lourd handicap physique ou intellectuel, ainsi que dans le cas de certaines maladies. Certains membres de l'entourage du malade, des amis et des connaissances prennent leurs distances: visites de plus en plus espacées, téléphone silencieux, courrier rare. Ces personnes ne mesurent pas, hélas, les conséquences de leur comportement qui peuvent être dramatiques: anxiété, peur panique, troubles alimentaires, etc. L'isolement social peut entraîner des risques médicaux et psychiques, et d'autres risques plus ou moins nocifs pour la santé. Pourquoi ce comportement? Peur de la contagion? Peur de ne pas savoir quoi dire au malade? Indifférence, manque de charité, coeur sec, quoi encore?
On voit donc que la solitude et l'isolement social sont lourds de conséquences néfastes pour le malade plus ou moins atteint, plus ou moins durablement souffrant. L'aidant lui-même est victime de la solitude et de l'isolement social. Le malade et l'aidant sont en quelque sorte rejetés, ils deviennent des déchets selon l'expression très forte du pape François (voir ci-après). Ce rejet peut avoir un effet négatif, particulièrement d'ordre psychologique tel qu'une faible estime de soi, voire une dépression. Cela peut également entraîner un sentiment d’insécurité et une haute sensibilité morale à de futurs rejets.
Nous voulons citer ici les propos du pape François:
Dans son exhortation apostolique "Evangelii gaudium", le pape François écrit:
Non à une économie de l’exclusion
53. De même que le commandement de “ne pas tuer” pose une limite claire pour assurer la valeur de la vie humaine, aujourd’hui, nous devons dire “non à une économie de l’exclusion et de la disparité sociale”. Une telle économie tue ... Aujourd’hui, tout entre dans le jeu de la compétitivité et de la loi du plus fort, où le puissant mange le plus faible. Comme conséquence de cette situation, de grandes masses de population se voient exclues et marginalisées : sans travail, sans perspectives, sans voies de sortie. On considère l’être humain en lui-même comme un bien de consommation, qu’on peut utiliser et ensuite jeter. Nous avons mis en route la culture du “déchet” qui est même promue ... Les exclus ne sont pas des "exploités", mais des déchets, "des restes".

Et plus loin, le pape poursuit:
75. Nous ne pouvons ignorer que dans les villes le trafic de drogue et de personnes, l’abus et l’exploitation de mineurs, l’abandon des personnes âgées et malades, diverses formes de corruption et de criminalité augmentent facilement.
Que voilà de terrifiants rapprochements de situation!
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Prochain texte
le 25 février 2017
Le Mercredi des cendres
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Illustration
Rembrandt - Le bon Samaritain

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Chers lecteurs, si vous avez des remarques, des observations ou des questions, écrivez-moi à l'adresse jacques.choquet2@orange.fr
À suivre chaque dimanche … si vous le voulez bien.
Le 15 février 2017



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