samedi 17 décembre 2016

Un Sauveur nous est donné

Les entretiens du dimanche
14

Un Sauveur nous est donné




À la mémoire du Chanoine Marcel Bourland
qui fut pour moi un guide attentionné



Le dimanche précédent, Candide n'avait pas pu se rendre à la paroisse pour un entretien avec Théophile, car elle avait la grippe. Son état de santé s'étant amélioré, elle tenait à poursuivre sa démarche pour mieux connaître la religion de son ami Théophile. C'est son amie Cécile qui vint la chercher en auto, et toutes deux arrivèrent à la paroisse. Comme Théophile avait fait parvenir à Candide les notes qu'il avait prises sur le sujet relatif à la chronologie des écrits du Nouveau Testament, il entreprit de parler du thème choisi: un Sauveur nous est donné.

- Candide prit la parole: "Pourquoi parles-tu d'un sauveur? Sauveur, mais de quoi et pour qui?"

- "Et bien, ça démarre fort, ma chère Candide, s'exclama Théo. Par définition,
un sauveur est celui ou celle qui tire quelqu'un d'une situation critique où il risque de perdre la vie ou ce qui est sa raison de vivre. C'est le nom donné à Jésus-Christ envoyé ici-bas pour sauver les hommes. Il ne faut pas confondre sauveur et sauveteur : le sauveteur est celui qui prend part à un sauvetage, c'est-à-dire à l'action de retirer quelqu'un ou quelque chose d'une situation critique. J'ajouterai la définition du mot salut : le salut est le bonheur éternel qui résulte du fait d'être sauvé de l'état de péché et des souffrances liées à notre existence dans un monde sensible, et qui affectent notre corps et nous renvoient à notre finitude."
-" C'est ce qu'on m'avait expliqué au catéchuménat, dit Cécile."

         Candide était dubitative. Le péché, certes, elle savait à peu près de quoi voulait parler Théophile. Les souffrances, c'était très clair. Restait le bonheur éternel, qui, pour elle, était une notion assez floue, parce qu'elle ne savait pas encore avec précision et clarté ce qui était l'essentiel de la foi de son ami Théo.
"Sauveur, sauveteur, j'ai saisi la nuance. Mais pourquoi les chrétiens parlent-ils de Jésus comme d'un sauveur? Vous écrivez d'ailleurs Sauveur avec une majuscule!"

-"Candide, tu as eu raison de demander <Sauveur, mais de quoi et pour qui?> Avant de te répondre, il faut que j'apporte quelques informations sur le cheminement spirituel des juifs et des chrétiens."

Théophile vit que Cécile était très attentive à ses propos. Il poursuivit:
-"Tout commence avec une prophétie attribuée à Isaïe. Les biblistes estiment que le livre d'Isaïe a été écrit par plusieurs auteurs, sur une période très longue. Aussi, faisons simple. Je vous rappelle, mes amies, qu'une prophétie est l'annonce d'un événement qui s'inscrit dans un futur plus ou moins lointain, et qui se réalisera; sans cette réalisation, on ne parle pas de prophétie.
L'annonce d'un sauveur se trouve très vraisemblablement dans un passage du prophète Isaïe. Le voici :
Is 7,14 - … Le Seigneur lui-même vous donnera un signe : voici que la jeune femme est enceinte, elle va enfanter un fils et elle lui donnera le nom d'Emmanuel.

Comment faut-il comprendre ce texte ? Si on s'en réfère aux notes explicatives données par les bibles, le signe que le Seigneur, c'est-à-dire Dieu, donne est la naissance d'un garçon. De quelle jeune femme s'agit-il ? Au moment où ces paroles sont prononcées, il s'agit probablement de l'épouse royale. Il faut sans aucun doute rejeter l'idée qu'il s'agit de n'importe quelle jeune femme, puisque le prophète rapporte les paroles de Dieu au roi. L'oracle s'adresse à la maison de David dans une situation où la dynastie royale est en cause. L'enfant dont il s'agit est donc l'héritier de la dynastie. Mais dès le deuxième siècle avant J.-C., et peut-être même avant, la tradition juive a vu dans cette naissance exceptionnelle, attendue dans le futur, la naissance virginale du Messie, c'est-à-dire que le Messie naîtrait d'une femme encore vierge.
         Ces précisions se trouvent dans les notes explicatives des bibles.

L'évangéliste Matthieu reprendra la prophétie d'Isaïe sous une forme personnelle (Mt 1,18-25). Je ne vous cite pas en entier ce passage, je n'en retiens que quelques phrases :
       <Marie, la mère de Jésus, avait été accordée en mariage à Joseph ; or, avant qu'ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l'action de l'Esprit Saint. Joseph, son époux, qui était un homme juste, ne voulait pas la dénoncer publiquement ; il décida de la répudier en secret. Il avait formé ce projet, lorsque l'ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit: “ Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : l'enfant qui est engendré en elle vient de l'Esprit Saint ;  elle mettra au monde un fils, auquel tu donneras le nom de Jésus (c'est-à-dire: Le-Seigneur-sauve), car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés.
Tout cela arriva pour que s'accomplît la parole du Seigneur prononcée par le prophète : Voici que la Vierge concevra et elle mettra au monde un fils, auquel on donnera le nom d'Emmanuel, qui se traduit : “ Dieu-avec-nous ”.
Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l'ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse, mais il n'eut pas de rapports avec elle ; elle enfanta un fils, auquel il donna le nom de Jésus.>
Remarquons que l'ange n'a pas donné à l'enfant le nom d'Emmanuel mais celui de Jésus."

Théophile fit une pause, car ses deux amies avaient écouté attentivement; il fallait leur laisser le temps de "digérer" ces explications. Pour favoriser leurs réflexions, il leur proposa un café qu'elles acceptèrent avec plaisir.

-"Théo, dis-moi, demanda Candide. Tu as parlé de Messie. Je te cite: dès le deuxième siècle avant J.-C., la tradition juive a vu dans cette naissance exceptionnelle, attendue dans le futur, la naissance virginale du Messie, c'est-à-dire que le Messie naîtrait d'une femme encore vierge.
Cette tradition n'envisage pas le messie comme un sauveur, semble-t-il? Mais saint Matthieu parle d'un sauveur, puisque c'est la signification du nom de Jésus. Jésus signifie Le-Seigneur-sauve, et Emmanuel Dieu-avec-nous."
-"Oui, lui répondit Théo. C'est ce qui explique que les contemporains de Jésus vont se diviser en deux camps: ceux qui le croient et deviendront ses disciples, et ceux qui lui dénieront toute autorité, allant même jusqu'à vouloir sa mort. Rappelez-vous que Jésus a dit :
«N'allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. (Mt 5,17)
ce qui signifie que Jésus n'est venu ni détruire la Loi, ni la consacrer comme intangible, mais lui donner par son enseignement et son comportement une forme nouvelle et définitive, où se réalise enfin en plénitude ce vers quoi la Loi acheminait. Aucun détail de la Loi ne doit donc être omis à moins d’avoir été ainsi conduit à son achèvement. L’amour, où déjà se résumait la Loi ancienne, devient le commandement  nouveau de Jésus, et accomplit toute la Loi.
         Matthieu n’est pas le seul à penser que les Écritures s’accomplissent en Jésus. Aux yeux de Jésus et de ses disciples, Dieu a annoncé ses desseins, soit par des paroles soit par des faits, et la foi des chrétiens découvre que l’accomplissement des textes bibliques dans la personne de Jésus Christ ou dans la vie de l’Église manifeste l’accomplissement réel des vues de Dieu. C'est pour cela que Jésus a inlassablement enseigné les foules, pour les sauver, c'est-à-dire les amener à vivre selon les desseins de Dieu, et fuir les occasions de pécher.

 Rappelez-vous également que des pharisiens ont contesté l'autorité de Jésus. Ainsi en Mt 21,23 :
Il était entré dans le Temple et il enseignait, quand les grands prêtres et les anciens du peuple s'approchèrent et lui dirent : «Par quelle autorité fais-tu cela? Et qui t'a donné cette autorité?»
mais les foules semblaient être d’un avis différent , comme en Mt 7,28-29 :
Et il advint, quand Jésus eut achevé ces discours, que les foules étaient frappées de son enseignement :  car il les enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme leurs scribes. 

         De son temps, Jésus fut un sujet d’étonnement et de questionnement. Dans les prophéties, on ne trouve aucune précision sur la nature du Messie-Sauveur : sera-t-il un roi temporel ou bien sera-t-il un envoyé de Dieu, et encore quel type d'envoyé ? On se rappellera ici la confusion qui était présente dans l'esprit des autorités juives lorsque Jean le Baptiste prêchait dans le désert (Jn 1,19), confusion qui sera encore confirmée plus tard lorsque Jésus lui-même demandera à ses disciples : « Pour vous qui suis-je ?, Et pour les gens qui suis-je ? » (Mt 16,13.15)
         Ce questionnement se poursuivra encore dans les siècles à venir après le départ du Christ pour le ciel, et il faudra quelques conciles pour fixer la doctrine chrétienne sur la question: qui est Jésus ? Mais nous en reparlerons une autre fois, si vous le voulez bien, car il se fait tard.
        
         Avant de nous quitter, je pense que vous avez compris que l'enseignement de Jésus est la règle de vie de tout chrétien, et qu'il ne faut pas ignorer l'Ancien Testament, ce qui est quelquefois mal reçu, nous en avons fait l'expérience avec certains chrétiens très pratiquants. Jésus est le Sauveur qui nous mènera auprès de Dieu quand notre vie terrestre sera achevée.
         Nous nous retrouvons dimanche prochain ? »
-"Évidemment, Théophile. À bientôt et merci de tes informations qui vont nourrir notre réflexion ces jours à venir, lui affirmèrent Candide et Cécile."


*****
Proposition de méditation
Temps de l’Avent
Année A
Quatrième dimanche

Textes : Is 7,10-16 ; Ps 24 (23); Rm 1,1-7 ; Mt 1,18-24
Les textes de la première lecture et de l’évangile offrent un contraste saisissant sur l’attitude de l’homme par rapport à sa relation avec Dieu. Le passage du livre d’Isaïe nous rapporte qu’un roi d’Israël, Acaz, refuse tout net de prier Dieu pour lui demander un signe, en arguant qu’il ne faut pas mettre Dieu à l’épreuve. Pourquoi ce refus ? Nous allons le voir un peu plus loin. L’évangile nous montre le trouble de Joseph après qu’il eut appris la maternité future de Marie, avec laquelle il est fiancé, ce terme ayant à l’époque plus de force qu’aujourd’hui, puisqu’il signifiait un engagement mutuel si réel que le fiancé était désormais considéré comme marié et qu’il ne pouvait se dégager qu’en répudiant publiquement la fiancée, qui subissait alors la mort par lapidation (Dt 22,20-21). Dieu va lui donner un signe. Notre réflexion portera donc sur les signes que Dieu adresse aux hommes.

Revenons au roi Acaz. Le contexte nous apprend que le royaume est en guerre avec deux pays ennemis, si puissants que la fin du royaume d’Israël est certaine.  Le roi Acaz est en fait un roi faible, qui malheureusement appartient à ce type de personne qui, par orgueil et aveuglement, ne croit qu’en l’homme. Or si l’issue de la guerre est fatale à son royaume, la promesse de Dieu concernant le Messie ne pourra pas se réaliser, parce que la lignée de David dont doit sortir le Messie sera rompue (Ps 131,11). Cela ne se peut et c’est pourquoi un signe est proposé au roi, qui le refuse ; mais Dieu ne peut pas accepter et c’est pourquoi le prophète intervient. Sa prophétie obéit au mécanisme bien connu qui repose sur deux termes : une partie de la prophétie fait allusion à un événement qui surviendra dans un futur non précisé, et un deuxième événement aisément reconnaissable se réalise dans un futur proche, garantissant ainsi le premier.

On sait ce qu’il advint : le messie annoncé est venu quelques centaines d’années plus tard, réalisant la promesse : « Voici que la jeune femme est enceinte, elle enfantera un fils, et on l'appellera Emmanuel » Abandonnons Acaz à ses  soucis pour revenir à Joseph.

Joseph se trouve devant une situation qui, humainement parlant, ne laisse planer aucun doute sur la conduite répréhensible de Marie, conduite qui, d’après la Loi juive, va être fatale à Marie si elle est révélée publiquement par la répudiation.  Mais Joseph est un homme juste, qui pressent qu’un événement hors du commun dépasse son intelligence. Joseph a placé toute sa vie dans la main de Dieu. Aussi est-il amené à penser que la vie de Marie est également offerte à Dieu. Joseph est convaincu de la vertu de Marie, il ne voit en elle aucun penchant mauvais : il entrevoit que ce qui arrive à Marie ne peut pas résulter d’un acte licencieux. Ce n'est pas du tout d'une façon idyllique et peu durable que Joseph aime Marie. L’amour entre eux est plein de délicatesse, de limpidité et de pureté ; c’est un amour d'une très grande force. Joseph a reconnu l'amour authentique de Marie pour Dieu. Et c’est pourquoi il ne veut pas la livrer à la justice brutale des hommes.

Dieu va l’éclairer, car Dieu n’est pas indifférent à ce qu’il a créé avec tant d’amour, et c’est pourquoi il intervient dans l’histoire d’un homme ou d’un peuple pour que vienne le règne messianique. Dieu donne à chacun de nous des signes de sa présence dans notre vie, selon des modalités que lui seul choisit, parce qu’il a souci de nous conduire à lui et de ne pas nous laisser nous perdre (2 P 3,8-10) ; il veut que tous aient le temps de se convertir. Nous recherchons ces signes, ou nous pouvons délibérément vouloir les ignorer ; souvent la quête est difficile, subtile, troublante, voire déroutante.

Des deux lectures, nous pourrions tirer plusieurs leçons pour notre vie mais c’est sur le signe que nous voudrions insister. Ceux qui ont une grande pratique de la prière et de l’adoration savent que la réalité est bien celle-là : Dieu nous donne des signes. Mais ces signes ne sont perceptibles que si nous les recherchons par une disposition de tout notre être à accueillir Dieu. Il y a des signes visibles, pour ainsi dire tellement banals que nous oublierions presque que c’est Dieu qui est présent dans notre histoire : ce sont les sacrements, témoignages de la présence active de Dieu dans son Église. Mais il y a d’autres signes, plus discrets, que Dieu nous réserve. Ce sont ces signes qui peuvent nous échapper si notre vie religieuse se limite à quelques instants, chichement concédés à Dieu. En ce cas, il ne faut pas s’attendre à autre chose qu’au dépérissement de la foi et de la pratique assidue à la vie de prière, de sacrement et de charité ; les signes de Dieu sont alors perdus à cause de notre aveuglement et de notre surdité.

Nous approchons de Noël, et nous ne voudrions pas achever notre réflexion sans méditer encore l’exemple de Marie et de Joseph. Ce qui est beau chez Marie et chez Joseph, c'est leur fidélité et leur confiance inébranlable à l'Esprit Saint dont les voies sont imprévisibles. Si Marie a accepté l’honneur et la mission que Dieu lui confiait, Joseph, quant à lui, fut troublé par la situation à laquelle il était confronté. Quoi qu’il en soit, tous deux acceptèrent ce que cette double Annonciation leur demandait. Ce qui nous est  difficile, à nous, c'est d'admettre l'imprévisible action de Dieu dans notre vie.  Nous pensons être prêts à tout, mais quand Dieu nous demande notre engagement sur un chemin dont le but nous dépasse, nous cherchons sans doute d’abord comment y échapper, en oubliant peut-être de prendre le temps de la prière. Marie et Joseph nous donnent l’exemple d'une vie simple qui reconnait que Dieu puisse intervenir et bousculer leurs plans.

C'est ainsi que  Marie et Joseph nous préparent à Noël : nous fêterons non seulement la naissance de Jésus, Verbe de Dieu venu en ce monde, vrai Dieu venu partager la condition humaine, mais nous fêterons aussi Dieu qui intervient dans notre vie personnelle, par amour pour nous. Il intervient souvent, nous donnant de multiples signes de sa patience, de sa tendresse, de sa miséricorde. A celui qui sait observer, tout est Parole de Dieu, même ce qui a priori le dépasse. Noël est une fête, une fête où les familles échangent des signes d’affection ce qui est bien naturel, mais là n’est pas l’essentiel ;  Noël est avant tout la fête de la venue de Dieu parmi nous. C’est avec Marie et Joseph qu'il faut préparer Noël, en méditant, en toute occasion, cette phrase de l'Évangile de ce jour : « Tout cela arriva pour que s'accomplît la Parole du Seigneur » (Mt 1,22). Viens, Seigneur Jésus. Nous t’attendons pour vivre avec toi.

Amen.

-----------------------
Prochain texte
Noël
ou un titre correspondant à cette période
le 24 décembre
si Dieu le permet.
-----------------------
Illustration
Botticelli- La Madone du Magnificat (1485)
*****
Chers lecteurs, si vous avez des remarques, des observations ou des questions, écrivez-moi à l'adresse jacques.choquet2@orange.fr
À suivre chaque dimanche … si vous le voulez bien.
Le 17 décembre 2016

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire