lundi 24 avril 2017



"Venez à moi et je vous soulagerais"


28 “Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos"    (Mt 11, 28-30)”

Candide avait annoncé à son ami Théophile qu'elle partait en stage à l'étranger pendant trois mois, en Irlande  à Dublin, afin de perfectionner son anglais et suivre en même temps une formation scientifique dans un domaine assez "pointu". Théophile et Candide n'avaient jusqu'ici jamais évoqué cet aspect de la vie de Candide.
Aussi, notre ami était-il libre de son temps, car son activité en paroisse était assez faible. Théophile avait eu des nouvelles de son ami Louis. Souvenons-nous que Louis avait demandé un conseil au Père Stanislas à propos de la situation difficile que lui et son épouse vivaient. La santé de son épouse, atteinte d'une maladie dégénérative, s'était aggravée depuis cet entretien et lui-même suivait un traitement médical très strict en raison de la défaillance de plusieurs de ses organes vitaux. Il était évident que Louis vivait une situation très difficile, nerveusement, physiquement et moralement.
C'est pourquoi, en relation avec Myriam, une paroissienne chargée de suivre des malades signalés à la paroisse, et avec le Père Stanislas, Théophile avait entrepris une réflexion sur le thème de la maladie, notamment sur la solitude et l'isolement du malade et de son proche entourage.
C'est cette réflexion que nous vous livrons, aujourd'hui et dans les dimanches qui suivront.
Les situations évoquées dans ce texte sont réelles; elles ont été rencontrées et vécues par l’auteur. Aujourd'hui encore, il vit lui-même une situation difficile qui dure depuis cinq ans et n'offre aucune perspective d'amélioration: aggravation de l'état de santé de son épouse, solitude puis maintenant isolement social, fatigue pour ne pas dire épuisement, désespoir, mais aussi révolte contre ceux qui sont censés pratiquer la charité. La vie actuelle de ce couple âgé (plus de 80 ans) est si morne!
Pour des motifs évidents de discrétion et de respect envers ceux qui les ont vécues ou les vivent encore, aucun nom et aucun lieu ne seront mentionnés permettant de les identifier.


Face à la maladie
Des questions 
C'est Théophile qui rapporte ici les pensées que lui suggère le thème choisi: la maladie et ses conséquences. 
Ce texte trouve son origine  dans une conversation que moi, Théophile, j'avais tenue avec des amis, il y a une quinzaine d'années, en octobre 2010  à propos de la souffrance d’une personne de leur entourage, que les médecins étaient impuissants à soulager. Pour cette malheureuse, ils estimaient qu’il n’y avait que deux issues possiblesla folie ou le suicide. Devant une telle détresse, aussi bien de la malade que de son entourage, on mesure combien les mots sont difficiles à trouver, et de toute façon trop faibles ou inadaptés. Les limites de ma charité me sont cruellement apparues alors. Voilà pourquoi, aujourd'hui, j'entreprend de réfléchir sur la maladie, et tout particulièrement sur un aspect douloureux; "Quand la maladie est source d'isolement", isolement du malade, isolement des proches qui sont chargés du malade, isolement social et solitude.
La souffrance est entrée dans ma vie avec les problèmes de santé de mon épouse. Un accident vasculaire cérébral (AVC), sans grande gravité apparente pourtant, a eu des effets durables sur sa santé, et l’avenir s’annonce très sombre, des examens approfondis ayant permis d’établir un diagnostic qui ne laisse aucun espoir d’amélioration. Les étapes de la dégénérescence sont prévisibles ; leurs durées respectives relèvent de la plus grande incertitude.
En cinq ans, rien ne lui a été épargné : une chute provoquant quatre fractures (probablement due à l’AVC), zona, hémorragie nasale effrayante entraînant une baisse anormale des globules rouges pendant plusieurs mois. En quatre ans, j'ai constaté un très fort affaiblissement de la motricité de ses membres inférieurs: aujourd'hui elle est incapable de marcher, même si on l'aide. Quant à la mémoire, elle est de plus en plus défaillante, et la compréhension des propos qu'on lui tient est incertaine. Un état dépressif semble s’installer parfois, quand cet être cher prend conscience de son état. Certains signes précurseurs sont inquiétants. La maladie dégénérescente, puisqu'il faut la nommer ainsi, se traduit par une dégradation lente et irréversible de l'état physique et des facultés mentales, dégradation qui se manifeste par paliers plus ou moins longs, mais inexorablement descendants.
Dans ces conditions surgissent inévitablement des questions bien connues des médecins et des religieux. Pourquoi un tel acharnement du sort ? Et Dieu dans tout cela ? Comment la foi chrétienne peut-elle permettre de vivre et de surmonter de telles situations ? Comment résister au désespoir et ne pas perdre toute espérance, en Dieu et dans la vie ? Comment exercer la charité au sein du couple? Et les relations sociales, quoi en dire? 
Enfin, petites précisions: je ne suis ni médecin, ni psychologue, ni psychiatre, mais seulement ingénieur électricien à la retraite et diacre permanent retiré, c'est-à-dire sans mission en Église. Par ailleurs, je n'ai reçu aucune formation théologique; je suis un autodidacte en la matière, ce qui pourrait expliquer certaines faiblesses que des érudits seraient à même de découvrir, et s'il leur plaît de me les signaler, je leur en saurais gré.
Maladie et souffrance
Soyons clairs sur mes intentions : aborder le thème de la maladie et de la souffrance est un exercice difficile et périlleux, même quand on a vécu intensément, au moins une fois dans sa propre chair ou dans ses affections, la maladie grave et la souffrance qui en découle. Mais pour moi qui vit des jours de plus en plus difficiles, commencent à se révéler leurs conséquences : physiques, nerveuses, morales et spirituelles.
Je n'ai pas la prétention de donner des recettes miracles, mais plutôt des pistes de réflexion; qui dit pistes, dit évidemment découvertes, faites ou à faire. À chacun de les méditer et, si besoin est, de les adapter et de les mettre en pratique selon sa propre sensibilité et selon la situation qu’il vit ou côtoie.
La maladie, quelle qu'elle soit, s’accompagne souvent de souffrances, plus ou moins vives, aux manifestations très diverses. Essayons de donner une définition du mot souffrance, définition forcément incomplète, et peut-être contestable. Par souffrance, on entend généralement un état, physique ou mental, ou les deux à la fois, où la personne malade doit supporter des douleurs pénibles, voire intolérables, aussi bien dans son corps que dans son esprit, pour un temps limité ou non. La souffrance d’une personne n’épargne pas son entourage ; la vie affective, sociale, et professionnelle s’en trouve souvent bouleversée, avec le cortège de ses développements moraux, voire spirituels. La vie en société en est affectée, et il n’est pas rare de voir se rétrécir comme une peau de chagrin le cercle des amis et des relations. La souffrance entraîne aussi des obligations matérielles et financières, qui peuvent se révéler insurmontables.

Il faut distinguer entre la souffrance et la douleur. La douleur revêt deux aspects :
physique, ce sera par exemple la nausée, les manifestations asthmatiques, les démangeaisons, les maux d’estomac, etc.;
- mentale, on évoquera l’anxiété, l’angoisse, la dépression, le deuil, la haine, etc.
La souffrance recouvre toute une gamme de degrés, depuis ce qui est plus ou moins supportable qui affecte les activités courantes, jusqu’à devenir insupportables et intolérables, ce qui peut pousser le malade à mettre un terme à la souffrance par n’importe quel moyen. En même temps, deux autres facteurs sont à prendre en considération : la durée et la fréquence.
Devant la souffrance et les douleurs, les personnes ne sont pas à égalité. On sait que, durant la Seconde Guerre mondiale, des combattants faits prisonniers par l’ennemi ont été torturés ; certains ont « parlé », d’autres pas. La force morale d’une part, la sensibilité physique à la douleur d’autre part, ont conduit à ces comportements opposés. Gardons-nous bien de juger !
Ainsi, face à la souffrance, les réponses des personnes malades et de son entourage  seront différentes, selon qu’elles la ressentiront comme plus ou moins légère, inévitable ou non pour notre nature humaine, subie avec résignation ou révolte, avec détermination ou accablement, méritée ou imméritée, sans espoir de voir la souffrance s’atténuer ou disparaître, enfin impossible de ne pas songer à la mort.
Pour élargir le champ de la réflexion, nous considérerons deux points de vue : celui de la personne qui souffre, et celui de son entourage au sens large du terme. Cela nous conduira à parler de compassion et de bien d’autres aspects : moraux, philosophiques et religieux.
Les facteurs qui entrent en jeu dans la souffrance
De notre point de vue, quatre facteurs entrent en jeu dans une situation de souffrance: ce sont la culture, la philosophie, la morale et la religion. Nous rappelons encore que nous ne sommes pas spécialiste en ces matières; nous avons reçu une  formation scientifique, dont le domaine principal fut l'électricité, associée plus tard à une conversion vers l'électronique et l'informatique. Avant d’aborder ces points qui apporteront quelques éléments de réponse, il est nécessaire de recenser les questions qui se posent à celui qui souffre, et subsidiairement à son entourage. Nous n'avons aucunement la prétention d'être exhaustifs.

Questions qui se posent en cas de maladie
La maladie, avec son cortège de souffrances et de douleurs, pose un problème aux hommes de tous les temps. Leur réponse dépend de l'idée qu'ils se font du monde où ils vivent, des forces qui les dominent, et aussi de l'état d'avancement de leurs connaissances. La maladie est cause de ruptures, d’abord dans le corps, puis au plan psychologique, ruptures aussi avec l'environnement familial, social et professionnel, qui conduiront le malade dans une solitude et un isolement plus ou moins profonds, suivis souvent de découragement, de désespoir et de révolte, puis peut-être de résignation, et quelquefois, hélas, de désir de mort. Nous ne sommes pas égaux dans le combat contre la maladie. Tous ces sentiments de rupture envahissent l'âme: pour le croyant, ils atteignent la relation à Dieu, ils entraînent un sentiment d’injustice.
Il est indispensable de rester lucide, car nous savons tous que, si le chemin de la guérison commence avec l’acceptation du mal, accompagnée de persévérance et de courage, ce chemin ne s’achèvera par la guérison du corps que si la nature s’y prête et y consent, pour tendre enfin à la joie de la guérison totale, comme l’entendent dans la religion chrétienne saint Paul (Ph 4,4 : Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur) et saint Matthieu (Mt 5,12a : Soyez dans la joie et l'allégresse).
Il faut s’efforcer de rester lucide, et c’est incontestablement difficile : j'ai connu un brillant ingénieur, grand sportif, qui a refusé d’admettre son cancer pendant des mois. Avec lucidité, quand la maladie frappe, surtout si elle est grave, elle provoque en premier lieu trois questions : "Pourquoi?", "pourquoi moi?...", "pourquoi j’en suis là ?...", bientôt suivies, si  la guérison totale ne peut être espérée, par la question : «comment vivre avec ?», surtout s'il y a plus ou moins de séquelles invalidantes. Plusieurs conditions sont indispensables pour affronter l'avenir: lucidité du malade et de son entourage, réserves des médecins quant à l’issue heureuse de la maladie, impuissance des techniques médicales à faire disparaître la maladie, ses causes et ses effets. 
Cet ensemble de questions ouvre sur des horizons philosophiques, moraux et religieux, que j'aborderai plus tard. Mais d'abord, envisageons la situation devant laquelle chacune de ces questions place le malade et ses relations familiales et sociales.
Pourquoi ? Au coeur de toute souffrance éprouvée par l'homme apparaît inévitablement la question: pourquoi? C'est une question sur les causes de la maladie; c'est en même temps une question sur le but (pour quoi) et, en définitive, sur le sens de la  vie. Non seulement cette question accompagne la souffrance humaine, mais elle semble aller jusqu'à en déterminer le contenu.
Évidemment, la douleur, spécialement la douleur physique, est largement répandue dans le monde des animaux. Mais seul l'homme, en souffrant, sait qu'il souffre et se demande pour quelle raison; et il souffre d'une manière humainement plus profonde encore s'il ne trouve pas de réponse satisfaisante. C'est là une question difficile,comme l'est cette autre question, très proche, qui porte sur le mal: pourquoi Dieu reste inactif devant le mal? 
Autorisons-non une petite digression à propos du mal. Dans la Bible. le livre de Job constate que le mal frappe en aveugle, sans faire de différence entre bons et méchants. Il y donne quatre exemples dont la source est d'origine humaine comme un acte terroriste, ou d'origine naturelle comme un séisme par exemple. Et même, comme dit Job, bien souvent les méchants restent en vie, alors que les innocents en sont les premières victimes. Ainsi défini, le mal est un scandale, et la maladie et la souffrance qui relèvent de la nature sont bien le mal. Nos explications s’effondrent devant la réalité, quand le mal nous saute à la figure. Henri Bergson (1859-1941) faisait justement remarquer:
«Le philosophe (ou le scientifique) peut se plaire à des spéculations de ce genre dans la solitude de son cabinet: qu’en pensera-t-il, devant une mère qui vient de voir mourir son enfant? Non, la souffrance est une terrible réalité, et c’est un optimisme insoutenable que celui qui définit a priori le mal, même réduit à ce qu’il est effectivement, comme un moindre bien.»
Arrêtons là notre digression, qui n'est pas inutile. Ces questions sur la souffrance et le mal sont l’une et l’autre difficiles, quand l’homme les pose à l’homme, et aussi quand l’homme les pose à DieuQuand nous sommes malades, nous faisons l'expérience de notre fragilité: nous la vivons presque toujours  dans notre famille, dès l’enfance, puis surtout en tant que personnes âgées, lorsque nous devenons plus ou moins dépendants. La maladie des personnes que nous aimons est vécue avec une souffrance personnelle, quelquefois avec angoisse. C’est l’amour qui nous fait ressentir l'acuité de ce "Pourquoi?"  
Qu'en pense celui qui croit en un Dieu? Pourquoi la maladie, la souffrance, le mal?Quelle que soit sa religion, l’homme croyant, s’il pose cette question au monde, la pose aussi à Dieu comme Créateur et Seigneur du monde. Et l’on sait bien que, sur ce terrain, non seulement on arrive à de multiples frustrations et conflits dans les rapports de l’homme avec Dieu, mais il peut se faire aussi que l’on arrive à la négation même de DieuSi, en effet, l’existence de l'univers ouvre le regard de l’âme humaine à l’existence de Dieu, à sa sagesse, à sa puissance et à sa magnificence, le mal et la souffrance viennent obscurcir cette image, parfois de façon radicale, et plus encore lorsqu’on voit le drame quotidien de tant de souffrances sans qu’il y ait eu faute de la part des victimes, et de tant de fautes sans punitions appropriées en retour. Aussi cette situation, plus qu’aucune autre peut-être, ne montre-t-elle pas combien importe la question du sens de la souffrance, et celle du mal, et avec quelle exigence il faut examiner ces questions et toute réponse possible?
Éternelles questions, auxquelles personne n'a répondu de façon satisfaisante et complète. Y aura-t-il un jour futur où sera donnée en ce monde une réponse ? Souvenons-nous du livre de Job, dans l’Ancien Testament. Job est confronté au mal et à la maladie.
Au milieu de tous ces malheurs, Job ne commit pas de péché. Il n’eut pas la folie de faire des reproches à Dieu.(Jb 1,22)
Certes, Job fait preuve d’un grand courage et d’une vraie foi en Dieu. Cependant, plus loin dans ses réflexions, Job se plaint amèrement:
Job maudit le jour de sa naissance. Il parla ainsi : » Qu’ils périssent, le jour qui m’a vu naître et la nuit qui a déclaré : 'Un homme vient d’être conçu !' Pourquoi ne suis-je pas mort dès le ventre maternel, n’ai-je pas péri aussitôt après ma naissance? Maintenant, je serais étendu dans le calme, je dormirais d’un sommeil reposant… Ou bien, comme l’enfant mort-né, je n’aurais pas connu l’existence… Pourquoi donner la vie à l’homme qui ne trouve plus aucune issue, et que Dieu enferme de toutes parts ?»    (Cf. Jb 3)
En effet. Pourquoi recevoir la vie si c’est pour souffrir, pour être malheureux, pour être opprimé et persécuté ? Ce pourquoi  exprime la vanité de l’existence, il exprime le rejet de toute consolation en un monde meilleur. Il exprime aussi l’impossibilité d’une explication à notre pauvre échelle humaine. Le croyant parle de « mystère » : seul Dieu sait, mais se tait. Pourtant, pour le chrétien, Dieu est venu prendre notre condition humaine, il a souffert, il est mort, et surtout il est ressuscité : voilà le signe que Dieu a donné aux disciples de son Fils, Jésus le Christ, voilà ce qui constitue l’espérance du chrétien. En attendant la vie future promise, il faut assumer avec courage et foi notre condition humaine.

Pourquoi moi ? Un jour, mon patron, que j'avais trouvé très déprimé, m'a raconté qu’il avait rendu visite la veille à sa mère atteinte d’un cancer. Lui et sa mère avaient toujours vécu dans une tendre relation de mère à fils. Et cependant, lors de cette visite, le fils avait découvert le regard de haine que sa mère posait sur lui. Il avait bien employé le mot : haine. Il ne mettait aucune exagération verbale en employant ce mot. C'était pour lui une souffrance insupportable, une blessure terrible. Sans aller jusque-là, il faut bien convenir que le malade qui souffre peut être tenté de regarder ceux qui sont en bonne santé avec envie, trouvant dans son entourage bien portant une source d’injustice : « pourquoi moi ? » "Et eux, pourquoi échappent-ils à ce qui me frappe?" Question qui montre bien la profondeur de la détresse du malade. Être frappé en notre corps, quand autour de nous s'agite un monde sans souffrance, est inévitablement ressenti comme une injustice, surtout si la maladie est grave, surtout si on craint de n'avoir plus de longues années à vivre:
"J'ai toujours vécu sobrement, sans faire d'excès d'aucune sorte, j'ai fait du sport ...", et "voyez celui-là (ou celle-là) qui se porte comme un charme alors qu'il mène une vie de patachon et d'excès! L'alcool, le tabac, et le reste ... Alors que moi ..."
Bien sûr, une telle attitude se comprend, mais elle fait abstraction de bien des choses. Quelle réponse apportera l'entourage?
Pourquoi j’en suis là ?Quand la maladie se prolonge, l'avenir s'assombrit, il est incertain; la médecine reste plus ou moins évasive, l'entourage se montre réconfortant, plus ou moins adroitement, l'atteinte à la santé est perçue comme irréversible. Que pense le malade de tout cela?
Tenez, je vous livre une découverte me concernant directement. Ayant eu une maladie, somme toute ordinaire, guérissable sans trop de difficulté, une analyse génétique, indispensable pour préciser le diagnostic et préserver l'avenir, a montré, sans doute possible, que j'étais porteur d'un gène redoutable; il est en moi, tapi comme un ennemi très dangereux, menaçant chaque instant ma vie. D'où vient-il? D'un de mes parents biologiques? D'une mutation génétique? Qu'en est-il du patrimoine génétique de mes enfants et petits-enfants? [question qui les amena à une analyse identique]. Cette découverte a changé mon regard sur la vie. Jusque-là, je n'avais rien eu de bien terrible, hormis quelques crises de colique néphrétique bien douloureuses, deux ou trois fractures: et voilà qu'en moi il y a une sorte de bombe à retardement, qui peut se déclencher n'importe quand, n'importe où, mais qui menace ma vie; supplice de l'épée de Damoclès! Cela m'a conduit à réexaminer ma manière de vivre, ma manière d'aimer les miens, à me soucier des conséquences sur le mode de vie des miens au cas où cette bombe exploserait. Et tout naturellement, cette découverte m'a conduit à me poser la question : comment vivre avec?

Comment  vivre  avec ?Quand aucune guérison ne peut être espérée, comment vivre avec sa maladie ou son handicap, ou encore avec un patrimoine génétique à risque? La gravité des séquelles peut conduire à un bouleversement total des conditions de vie, de l'habitat, des déplacements plus ou moins restreints, des moyens d'expression, des activités physiques (écriture, bricolage, sport, etc.) 
"Comment vivre avec" quand il n’y a plus d’espoir de retrouver l’état de santé antérieur? La guérison totale n’étant plus envisageable, l’organisation d’un nouveau mode de vie doit être mise en place. Par exemple, les voyages en avion de plus de deux heures me sont strictement interdits. Cela se fera-t-il sans bouleversement notable ? Faut-il se résoudre à vivre en maison d’accueil spécialisée ? Quelles incidences financières cela va-t-il avoir ? Comment la famille et les amis accepteront-ils ce changement ? Et pour mon travail? Quelles séquelles plus ou moins graves sont possibles? Comment envisager la vie du malade au milieu de son entourage proche, et de la société en général?
Voilà autant de questions, et bien d’autres sans doute qui ne vont pas contribuer à faciliter la vie du malade ni celle de son entourage, et qui, dans l’immédiat, peuvent conduire à des moments très pénibles de découragement et de peur de l’avenir. On parle beaucoup de solidarité, rarement de charité, on parle, on parle ... mais notre monde est un monde indifférent, sauf rares exceptions, très rares. Alors? Comment vivre avec ma maladie alors que je vis dans la solitude, sans consolation de mes frères humains? Et Dieu, dans tout cela? Dans la maladie de mon épouse handicapée et qui peu à peu s'affaiblit en chair et en esprit, je pense à Job et à ses "chers" amis, à ceux que le psaume 40(41),7 évoque (Si quelqu'un vient me voir, ses propos sont vides), mais tout cela ne me réconforte pas.
….. À suivre 
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Illustration
Job : Livre d'heures de Henri II


Le lundi 24 avril 2017

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