vendredi 23 septembre 2016

L'amour et la patience de Dieu

Les entretiens du dimanche
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L'amour et la patience de Dieu

Dimanche dernier, nos deux amis se sont quittés sur une remarque de Candide à Théophile, une vraie question plutôt. Rappelons-nous:
- Depuis quelque temps, il me semble que quelqu'un me parle. Je suis troublée par cette voix intérieure. Serait-ce ton Dieu ? … Je n’ai pas osé en parler à ma famille ni à mes amis, de crainte qu’ils ne se moquent de moi. … Je me suis dis que, toi qui est diacre, tu m’écouterais, que tu m’aiderais à y voir clair. Veux-tu m’aider ?

C'est ainsi qu'après la messe, Théophile alla retrouver Candide dans le petit cloître de l’église. Elle était toute pensive. Ce qui occupait ses pensées ne pouvait sans doute pas s’exprimer facilement. Cependant, si elle venait demander conseil à son vieil ami, c'est bien évidemment parce qu'elle avait confiance en lui et savait qu'elle ne risquait pas un accueil moqueur à ses interrogations. La différence d'âge était aussi un gage de respect et d'écoute attentive, et de compréhension également.

Il est vrai que parler de Dieu aujourd'hui est difficile dans notre société qui se proclame laïque et même laïciste. Aujourd’hui, très peu de personnes osent ouvertement  parler de leur religion. Le monde politique, au plus haut niveau et dans sa majorité, veut restreindre l'exercice de la religion "dans la sphère privée"; un comble pour un peuple si fier de sa Déclaration des droits de l'homme, de sa liberté conquise il ya plus de deux siècles, et de l'affirmation de ses aspirations à la fraternité dans un esprit d'égalité! Un de mes professeurs de philosophie soutenait l'idée que la liberté s'arrête où commence celle des autres; belle définition,  à laquelle semble se substituer une nouvelle conception, plus restrictive, celle qui donnerait le droit arbitraire de limiter la liberté de ceux qui n'ont pas le bonheur de plaire! (Avez-vous noté comme on parle beaucoup de droit et peu de devoir ?)
Un autre écueil réside dans le prêchi-prêcha ou, pire, dans une sorte d’affirmation péremptoire de sa croyance.

Nos deux amis étaient assis entre deux colonnes du cloître. Le dimanche précédent, Candide avait écouté attentivement les propos de Théophile, sans l'interrompre. Aujourd'hui encore, un long silence s'était établi entre eux, seulement agrémenté par le roucoulement de deux tourterelles. 
Apparemment, Théophile ne voulait pas bousculer Candide par des questions. Au bout de quelques instants, elle rompit enfin le silence.
- "Théophile, je ne sais comment te dire clairement ce que je ressens. Il me semble que mon imagination me joue un tour. Si Dieu existe, comment pourrait-il s’intéresser à moi ? Je ne suis rien, je ne crois pas en Lui, je n’ai reçu aucune éducation religieuse?"
Elle se tut à nouveau. Théophile respectait son silence, car il comprenait son trouble, ses hésitations. Théophile avait vécu la même expérience avant d'être ordonné diacre.

- "Ma pensée est hésitante, reprit Candide. Croire en Dieu avec tout le mal qui nous entoure, les famines, les guerres, les attentats, est-ce possible ? …Crois-tu que cette voix intérieure n’est pas le fruit de quelque divagation ?"
- "Candide … tu es une personne équilibrée et ce que tu ressens en toi est une réalité. Je vais te raconter ce qui m’a conduit à la foi qui est mienne.
et Théophile lui raconta son cheminement:
- "Vois-tu! Je suis né dans une famille diversement croyante et pratiquante ; mes parents m'ont donné une bonne éducation religieuse que je n'ai pas cultivée après le catéchisme. Du catéchisme qui me fut enseigné, je n’ai rien retenu, mis à part les récits de la guerre des Maccabées. Avoue que c’est nul: retenir un récit de guerre alors qu'on m'enseignait une religion qui prône l'amour fraternel, la charité, la compassion, et j'en passe...."
Mon père, qui était officier d'artillerie, avait vécu une expérience terrible lors de la Seconde Guerre mondiale. Il s'était retrouvé isolé au cours d'un dur combat dans le nord de la France. Pourchassé par des patrouilles allemandes, il ne dut son salut qu'en passant une nuit, dans l'eau glacée d'une rivière envahie de roseaux. Il fit alors une promesse à Dieu, celle d'aller chaque dimanche à la messe. Les soldats ennemis abandonnèrent la poursuite. Cette promesse, il l'a tenue jusqu'à sa mort.
Il m'avait raconté cet épisode. Chaque dimanche, je l'accompagnais à la messe; par modestie et aussi par humilité, nous restions au dernier rang de chaises de l'église. Tous les deux, en silence, nous participions à l'office.
Il n'y eut pas que mon père qui manifestait sa foi. Ma grand-mère maternelle était très pieuse; je la revois, avec beaucoup d'émotion, assise dans notre jardin, priant le chapelet à la Vierge Marie. Depuis de longues années, j'ai une grande dévotion pour Marie… Si tu le souhaites, je te donnerai la prière qu'on attribue à saint Bernard.
Jusqu'à l'âge de vingt-quatre ans, j’allais à la messe, mais je ne ressentais pas grand-chose, je restai passif : dite en latin, par un prêtre tournant le dos aux fidèles, il n’y avait là rien de bien entraînant. Puis mes études supérieures et un long service militaire m’ont éloigné de l’Église. Ma formation scientifique se rebellait à l’idée de ce qu’elle considérait comme irrationnel.
Ces années d'éloignement furent aussi une période où la prière a été inexistante dans ma vie. Je me suis marié. C'est après le concile Vatican II, dont j'ai suivi les travaux d’assez loin, que j'ai retrouvé le chemin de l'Église. Beaucoup plus tard, au cours d’une messe, un passage de la lettre de saint Jacques me donna un choc. Le voici :
« Parlez et agissez comme des gens qui vont être jugés par une loi de liberté… À quoi cela sert-il, mes frères, que quelqu'un dise: <J'ai la foi>, s'il n'a pas les oeuvres? La foi peut-elle le sauver? ... » (Jc 2,12.14)
Plus tard encore, pendant un pèlerinage à Lourdes, second choc :
« Quiconque entend ces paroles que je viens de dire et ne les met pas en pratique, peut se comparer à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable. La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, la tempête a soufflé, elle a secoué cette maison ; la maison s'est écroulée, et son écroulement a été complet. »(Mt 7,26-27)
Ce fut le point de départ d’un long cheminement de dix ans qui m’a conduit à l’ordination diaconale. Un prêtre âgé et d'esprit ouvert m'a accompagné: je lui dois beaucoup.
Vois-tu, Dieu est patient, Il ne bouscule pas celui en qui Il met sa confiance; son amour et sa patience sont infinis, et surtout Dieu respecte notre liberté de répondre oui ou non à son appel; notre réponse, si elle est positive, s'appelle "vocation", du latin vocare (appeler). En effet, Dieu laisse toute liberté à celui, ou celle, qu’il appelle.. Dieu sait quelles sont les forces et les faiblesses de chacun; sa miséricorde est tout acquise à celui et à celle qu’Il sollicite."



"L'amour véritable respecte la liberté de l'être aimé. Il contribue à son épanouissement, il est patient, il ne s'impose pas"…
Connais-tu le passage de saint Paul dans sa première lettre aux Corinthiens? … Non, bien sûr, suis-je bête! Le voici, très résumé, car il est assez long. C'est saint Paul qui parle:
J'aurais beau parler toutes les langues de la terre et du ciel, si je n'ai pas la charité, s'il me manque l'amour, je ne suis qu'un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante… S'il me manque l'amour, je ne suis rien. J'aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j'aurais beau me faire brûler vif, s'il me manque l'amour, cela ne me sert à rien.
L'amour prend patience ; l'amour rend service ; l'amour ne jalouse pas; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d'orgueil ; il ne fait rien de malhonnête ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s'emporte pas ; il n'entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est mal, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout.
L'amour ne passera jamais.
 (1 Co 13,1-13)
Ce que n'a pas dit Théophile à Candide, afin de ne pas la troubler, c'est que l'amour dont parle saint Paul est celui qui ira jusqu'à donner sa vie à l'être aimé, s'il le faut. C'est l'agape. Peut-être, plus tard, Théophile se lancera -t-il dans cette explication?
Candide avait écouté très attentivement; elle était plongée dans ses pensées...
- "Si je comprends bien ce que tu veux me dire, reprit-elle, ce serait ce qui me pousse en ce moment, ce pourrait bien être Dieu ? Mais pourquoi moi ?"

- "Bonne question. Vois-tu, Candide, ce qui m’est arrivé a nécessité beaucoup d’années de réflexion, d'interrogations, de doute aussi... Rien n’était clair ni évident pour moi. Ma famille connaissait mes interrogations; elle m'aidait beaucoup.
Ce n'est pas facile de répondre « oui » à Dieu. Ça prend du temps. Il ne faut pas que tu restes seule, il faut parler de ce qui t’arrive et ne pas craindre l’indifférence ou l’ironie des autres. Et surtout, il te faut rechercher ce qui fait le cœur de la foi du chrétien... La raison est la patronne au début, et puis un jour c’est le cœur qui prend le relais et reconnaît Dieu. C'est par un cheminement plus ou moins long que tu découvriras si c'est Dieu qui t'appelle. Peut-être, ce n'est qu'un besoin de vérité qui te préoccupe actuellement."


Un long silence se fit. Candide réfléchissait. La lutte intérieure qui se livrait en elle transparaissait sur son visage. Toute son attitude montrait combien elle hésitait entre un « non » immédiat et définitif et un « peut-être bien que … »
Enfin, Candide sortit de sa réflexion :
- « Dimanche prochain, pourrais-tu me parler de ta foi ?»

L'heure qui s'était écoulée les avait séparés du monde, les plongeant tous deux dans un abîme de silence, de réflexion aussi, peut-être même de perplexité pour Candide.

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Complément à cet entretien
26e dimanche du temps ordinaire, année C.
Évangile selon saint Luc : Lc 16,19-31
19 “ Il y avait un homme riche, qui portait des vêtements de luxe et faisait chaque jour des festins somptueux. 20 Un pauvre, nommé Lazare, était couché devant le portail, couvert de plaies. 21 Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais c'étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses plaies.
22 Or le pauvre mourut, et les anges l'emportèrent auprès d'Abraham. Le riche mourut aussi, et on l'enterra. 23 Au séjour des morts, il était en proie à la torture ; il leva les yeux et vit de loin Abraham avec Lazare tout près de lui. 24 Alors il cria : 'Abraham, mon père, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper dans l'eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise. - 25 Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : Tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur. Maintenant il trouve ici la consolation, et toi, c'est ton tour de souffrir. 26 De plus, un grand abîme a été mis entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient aller vers vous ne le puissent pas, et que, de là-bas non plus, on ne vienne pas vers nous.'
27 Le riche répliqua : 'Eh bien ! père, je te prie d'envoyer Lazare dans la maison de mon père. 28 J'ai cinq frères : qu'il les avertisse pour qu'ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de torture ! 29 Abraham lui dit : 'Ils ont Moïse et les Prophètes : qu'ils les écoutent ! - 30 Non, père Abraham, dit le riche, mais si quelqu'un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront.' 31 Abraham répondit : 'S'ils n'écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu'un pourra bien ressusciter d'entre les morts : ils ne seront pas convaincus.' ”


Nous pourrions méditer ce commentaire de saint Jean Chrysostome:
Riches ou pauvres, efforçons-nous d'imiter Lazare ! Lui qui eut à soutenir, non pas un malheur, ni deux, ni trois, mais une multitude : pauvreté, maladie, délaissement, abandon de tous ceux qui eussent dû le secourir. Il a souffert jusque dans la maison qui pouvait le mieux le libérer de tous ces maux ; mais personne n'a daigné lui accorder la plus infime consolation.
Nota : saint Jean Chrysostome ( vers 344 - mort en 407) a été archevêque de Constantinople et l'un des Pères de l'Eglise grecque. Son éloquence est à l'origine de son surnom de « Chrysostome » (en grec,  littéralement « Bouche d'or »). Sa rigueur et son zèle réformateur l'ont conduit à l'exil et à la mort.
C'est un saint et un docteur de l'Eglise catholique, de l'Eglise orthodoxe et de l'Eglise copte, fêté le 13 septembre en Occident et le 30 janvier en Orient.
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Les illustrations
- L'appel de Samuel: la vocation de Samuel est relatée dans la Bible (Ancien Testament: 1 Samuel 3, 1-10,19 - 4, 1 a      Vocation prophétique de Samuel.
- Lazare et l'homme riche: Bible (Nouveau Testament) en Lc 16,19-31
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Chers lecteurs, si vous avez des remarques, des observations ou des questions, écrivez-moi à l'adresse theophile21@orange.fr
a dimanche prochain, si vous voulez bien.
dimanche 25 septembre 2016


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