vendredi 30 septembre 2016

La foi

Les entretiens du dimanche
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La foi
Ce dimanche-là, il tombait une pluie fine, qui imprégnait toute chose, toute personne. "Voilà, se dit Théophile, un phénomène naturel qui pourrait peut-être bien m'aider aujourd'hui pour l'entretien avec Candide." En lui-même, il se félicitait d'avoir fait appel à son ami François, pour l'aider à parler de la foi à Candide.
"Mais d'abord, cherchons un endroit abrité et sec pour cet entretien" Le curé de la paroisse lui proposa une petite salle à côté de l'église. Théophile s'en réjouit.
Par la fenêtre de la petite salle, il aperçut François qui arrivait. Un solide gaillard, d'une quarantaine d'années. Ingénieur électricien, ceinture noire en judo de surcroît. À trente ans, il prit conscience de la vanité de sa vie: il s'en ouvrit à un prêtre de sa connaissance, qui lui conseilla de faire une retraite dans un monastère. Résultat: mon ami devint "frère François" … moine franciscain! La pauvreté après l'aisance financière, une cellule spartiate équipée du strict nécessaire après un très confortable et coûteux appartement, un vêtement dans une étoffe grossière au lieu d'un complet veston en tweed grand chic… Voilà pourquoi Théophile se réjouissait de la venue de François pour l'aider à répondre aux questions sur la foi que Candide allait sans doute leur distiller. François avait vécu une expérience bien en rapport avec la demande de Candide.

Candide arriva, toujours aussi vive, le parapluie largement déployé, le sourire aux lèvres. Théophile fit les présentations:
-"Candide, je te présente frère François, mon ami, ingénieur de formation qui a préféré la pauvreté aux joies de l'électricité! "
- La carrure et l'habit de François impressionnèrent Candide
"Bonjour… Vous êtes un vrai moine?.... Ah! je comprends … Théophile a besoin de secours? Le pauvre!"
- "Du secours? je ne sais pas vraiment, intervint François… Bien que diacre, il ne sait sûrement pas tout de sa propre religion. Quant à sa foi, je n'ose pas me prononcer, n'est-ce pas Théo?"
Théophile ignora cette remarque, et s'empressa de résumer pour François les deux entretiens déjà vécus:
- "Candide souhaite que nous lui parlions de la foi, de notre foi plus exactement, devrais-je dire"
- "Veux-tu commencer, François"
- "Bien. Je vais tenter d'être aussi clair que possible pour vous.
D'abord, le mot <foi >: que signifie-t-il ? ... Il est assez proche du  mot <confiance>… Mais, en matière de religion, il a un sens  qui mérite une analyse un peu spéciale ... Attention, chère Candide, voilà un peu de grammaire!
Je commence. Accroche-toi!
- "Je suis prête, les oreilles grandes ouvertes!"
- "Bien … En religion, on a coutume de dire que l'acte de foi comporte trois éléments :
1°- Il y a d'abord le consentement de la raison : je crois que Dieu existe et qu'il s'est révélé à nous c'est-à-dire que je considère comme vraisemblable ou probable que Dieu existe. À noter que "Dieu" est employé au singulier, ce qui revient à exclure l'éventualité du polythéisme.
2°- Il y a ensuite le consentement de la volonté : je crois Dieu, c'est-à-dire que j'ai confiance en lui, je me repose entièrement sur lui. Je crois pour sincère, véridique, la parole de Dieu rapportée dans la Bible. J'ajoute foi à ce que Dieu dit.
3°- De ces deux points de vue découle le troisième : je crois en Dieu c'est-à-dire que je me mets en route vers lui et avec lui.
En conclusion :
ð je crois que Dieu existe et n'est pas une construction abstraite de l'imagination humaine. Je crois Dieu, et je crois en Dieu puisque j'ai confiance en lui.
ð Il en résulte qu'il faut donc que je me mette en route avec le Christ, car il a dit à ses apôtres et ses disciples:
"Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde"  (Mt 28,20).
Il leur dit aussi: "Allez dans le monde entier proclamer l'Évangile à toute la création." (Mc 16,15)) et: «De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit » (Mt 28,19 ).
        
Pour saint Augustin qui est l'auteur de cette décomposition du concept de la foi en trois éléments, la progression se fait dans le sens de plus en plus fort : par la raison il considère comme vraisemblable ou probable l'existence de Dieu, puis par volonté il tient Dieu pour sincère et véridique, il ajoute foi à ce qu'il dit, enfin il a confiance en Dieu et il se met en chemin vers Dieu et à la suite de Dieu."

Candide avait écouté, en silence, très attentivement. Elle "digérait" ce copieux exposé, peut-être un peu trop analytique … Frère François et Théophile respectèrent son silence; Candide réfléchissait, elle semblait si absorbée par ses pensées que tous les deux n'osèrent pas lui adresser la moindre parole.  Qu'est-ce qui allait se passer lorsque Candide sortirait de son silence?
Enfin, elle reprit vie.
- "Frère François, merci pour la leçon de grammaire, dit-elle avec une pointe d'ironie. Vous avez cité saint Augustin: qui c'est?"
- "Pour faire court, reprit frère François, je dirai que Augustin (354-430) mena dans sa jeunesse une vie assez agitée, éloignée de la religion chrétienne. Puis, un jour, il eut une révélation, qui changea radicalement son existence. Il fut un grand évêque, philosophe et théologien éminent. Après sa mort, sa conduite exemplaire lui valut d'être distingué par les chrétiens qui le déclarèrent saint…vous savez, Candide, que ce résumé ne ferait peut-être pas l'unanimité dans l'Église, mais j'ai voulu être bref pour en venir à l'essentiel de votre demande concernant la foi."

- Merci frère, mais < se mettre en chemin>, ça veut dire quoi? … Non, ne dites rien, intervint-elle en voyant François près de répondre. Et pourquoi <avec le Christ>? .. Faut-il avoir lu la Bible, entièrement ou non, parce que c'est un livre volumineux, décourageant  a priori, non? Pas étonnant qu'il y ait si peu de monde à la messe! Tout ce que vous dites est décourageant, ça suppose une volonté et une assiduité permanentes … "

- François lui répondit: "Il est certain que la progression dont parle saint Augustin se fera de façon personnelle et unique pour chaque personne. Tout dépend du milieu social, du degré de culture de chacun, mais, et j'insiste sur ce point, tout dépendra du cœur plus que de la raison. La révélation de Dieu peut-être soudaine, mais aussi prendre du temps"

- "Ce fut mon cas, murmura Théophile. Dans mon enfance, l'exemple de ma grand-mère m'irrita d'abord. Toujours prier, Jésus à toute occasion … Ouh! Puis l'adolescence, malgré un catéchisme bâclé et raccourci, me fit comprendre certaines choses. Avec la jeunesse du jeune homme, je pris mes distances avec la religion, jusqu'à tout oublier. C'est beaucoup plus tard que Dieu me rattrapa; il ne m'avait pas oublié, mais il fallait que j'atteigne enfin le stade où la raison cède la place au cœur.

- Reprenant les mots de Candide, frère François lui dit:
"Décourageant … voilà le mot que tu as utilisé à propos de la Bible. C'est vrai, à première vue. Pas d'images, quelquefois des mots et des expressions incompréhensibles … Bref, ce n'est pas un livre attrayant. Mais c'est le livre le plus vendu et lu dans le monde entier, même dans les pays d'athéisme pesant. Une Bible classique, c'est près de 1.800 pages, double colonne! Pas question de commencer par la première page! Tu n'irais pas loin.
         C'est comme de visiter un vaste musée, par exemple le Louvre à Paris. Tu feras comme la majorité des visiteurs: le nez en l'air, peut-être un petit guide en main, pas sûr. Au bout d'un moment, les jambes deviennent lourdes, le besoin de s'asseoir se fait pressant, quelques bâillements surviennent, et puis le visiteur, accablé par l'immensité de la tâche, se lève et s'en va.
         Pour la Bible, c'est pareil."
-"Alors, c'est sans espoir?" s'écria Candide.
- "Bien sûr que non! Il y a deux possibilités: soit faire partie d'un petit groupe d'étude biblique, souvent en paroisse à l'initiative d'un prêtre, soit participer à la messe dominicale. En effet, dans sa sagesse, l'Église a sélectionné des textes proposés chaque dimanche, répartis sur trois années, désignées par les lettres A, B, et C. Le paroissien assidu à la messe dominicale prendra ainsi connaissance des principaux passages de la Bible, et avec un peu de chance bénéficiera du commentaire apporté par le prêtre célébrant ou le diacre qui l'assiste… à condition de ne pas se laisser aller à un moment de rêverie!!!
         Évidemment, cela ne dispense pas d'un travail personnel d'étude et de réflexion.
         J'allais oublier: sur internet, on trouve des sites religieux dignes de confiance qui apportent des propositions de méditation, de prière, avec des commentaires sérieux et documentés.

- "Théo, je compte sur toi pour me guider, n'est-ce pas?"
- "Oui, Candide".
- "Vous êtes des amis très chers, toi Théo et vous aussi frère, souligna Candide; le temps passe vite, et j'aurais encore d'autres questions. Ce sera pour une prochaine fois."
- " De quoi parlerons-nous dimanche prochain?" demanda Théophile à Candide.
- " Je n'ai pas d'idée à l'instant; il y a tellement de choses à apprendre ou à comprendre. Laisse-moi y réfléchir", soupira-t-elle.

Ils se quittèrent sur ces mots. La pluie avait cessé; un timide rayon de soleil perçait les nuages gris sombre. Nos trois amis étaient heureux de ce temps de partage: il était utile à Candide, mais peut-être plus encore à frère François et à Théophile.

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Complément à cet entretien
27e dimanche du temps ordinaire, année C.
Évangile selon saint Luc 17,6-10
05 Les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! »
06 Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous aurait obéi.

07 Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : “Viens vite prendre place à table” ?
08 Ne lui dira-t-il pas plutôt : “Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour” ?
09 Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ?
10 De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : “Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir.”
Proposition de médiation
Il faut nourrir sa foi ! On ne le répétera jamais assez. Combien de chrétiens se sentent incapables de parler de leur foi, simplement parce qu'ils vivent sur les acquis de leur catéchisme (ou ce qu'il en reste), et sur les quelques paroles des homélies qu'ils ont pu saisir.
L'étude de la Parole de Dieu est une nécessité pour étayer et renforcer la foi, mais cette étude ne saurait être un but en soi: la charité ne doit pas être absente de nos activités religieuses, sous peine de rendre vaine et stérile notre foi. Le message de l'Évangile ne doit pas rester sans mise en pratique comme nous y exhorte saint Jacques :
Mettez la Parole en application, ne vous contentez pas de l'écouter : ce serait vous faire illusion. Car écouter la Parole sans la mettre en application, c'est ressembler à un homme qui se regarde dans une glace, et qui, aussitôt après, s'en va en oubliant de quoi il avait l'air. Au contraire, l'homme qui se penche sur la loi parfaite, celle de la liberté, et qui s'y tient, celui qui ne l'écoute pas pour l'oublier, mais l'applique dans ses actes, heureux sera-t-il d'agir ainsi. (Jc 1,22-25).
C'est en méditant la Parole de Dieu que nous affermissons notre foi. Dans l'étude de l'Écriture, nous puisons persévérance et courage: la Parole aide  à chercher et comprendre le sens de notre pèlerinage sur la Terre. Relisons saint Paul (Rm 15, 4-9a.13):
Or, tout ce que les livres saints ont dit avant nous est écrit pour nous instruire, afin que nous possédions l'espérance grâce à la persévérance et au courage que donne l'Écriture. Que le Dieu de la persévérance et du courage vous donne d'être d'accord entre vous selon l'esprit du Christ Jésus. Ainsi, d'un même coeur, d'une même voix, vous rendrez gloire à Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ.
Accueillez-vous donc les uns les autres comme le Christ vous a accueillis pour la gloire de Dieu, vous qui étiez païens. Si le Christ s'est fait le serviteur des Juifs, c'est en raison de la fidélité de Dieu, pour garantir les promesses faites à nos pères ; mais, je vous le déclare, c'est en raison de la miséricorde de Dieu que les nations païennes peuvent lui rendre gloire.
Que le Dieu de l'espérance vous remplisse, vous qui croyez, de joie et de paix parfaites, afin que vous débordiez d'espérance par la puissance de l'Esprit Saint.
L'étude de la Parole de Dieu est indispensable pour approfondir notre foi. Il ne faut  pas se laisser décourager par l'apparition de nouvelles questions qui surgissent  et qui peuvent, dans certains cas, faire croire à une régression de la foi, voire faire naître le doute. Persévérer est vital pour notre foi : « Il faut que, par la foi, vous teniez, solides et fermes ; ne vous laissez pas détourner de l'espérance que vous avez reçue en écoutant l'Évangile proclamé à toute créature sous le ciel » (Col 1,23).
Sans nourriture par la Parole de Dieu, la foi s’appauvrit  inexorablement.  Cependant, ne nous décourageons pas : le Seigneur nous vient toujours en aide; ce n'est pas lui qui nous abandonne, mais c'est nous qui doutons de Lui.
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Les illustrations

- Saint François d'Assise de Francisco de Zurbaran (1598–1664)
- Nota: la robe de frère François est faite d'un tissu de laine assez grossier, appelé bure. Cette étoffe sert de base à la confection de vêtements pour les religieux et en particulier pour les habits des moines.
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Chers lecteurs, si vous avez des remarques, des observations ou des questions, écrivez-moi à l'adresse theophile21@orange.fr
À suivre chaque dimanche … si vous le voulez bien.
dimanche 2 octobre 2016


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