Les entretiens du dimanche
11
Le suaire de Turin
Résumé des chapitres
précédents
Candide est une jeune femme en recherche
de spiritualité; elle s'est adressée à son ami Théophile, diacre permanent, qui
a accepté de l'aider. Ils se retrouvent chaque dimanche pour un entretien,
auquel un invité peut se joindre. Ainsi nous avons fait la connaissance de
François, moine franciscain, de Louis diacre permanent, du Père Stanislas curé
de la paroisse où ils se réunissent le dimanche, et de Cécile récemment baptisée
et confirmée.
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À la fin de leur entretien précédent, Candide
a posé une question à Théophile sur le suaire de Turin. Théophile va essayer
aujourd’hui d’apporter une réponse sur ce mystérieux suaire.
À gauche, tel qu'on voit le linceul, à droite tel qu'il apparut à M. Pia sur la plaque photographique.
-"Bonjour Théo !"
-"Candide, je te souhaite un bon dimanche… te
voilà toute joyeuse et excitée!"
-"Évidemment….Alors ? Le suaire de
Turin ? C’est le portrait de Jésus ?"
-"Pas facile de te répondre, Candide. Ce qui
est acquis, c’est que ce linge représente le corps d’un supplicié par
crucifixion. Mais de quand date-t-il ? Sur ce point précis, et sur le fait
que ce soit Jésus, la contestation la plus vive fait rage."
-"Pourquoi ?Quelle est la
difficulté?"
-"Et bien, voilà. Tout
commence vers le milieu des années 1350.La famille De Charny a autorisé les
chanoines de la collégiale de Lirey, à environ 20 kms de Troyes, en Champagne,
à exposer publiquement une pièce de tissu sans en avoir averti l'évêque. Gros
scandale! Il semble que ces expositions avaient commencé bien plus tôt, le pape
les avait autorisées. Cette pièce était prudemment présentée comme étant une
image ou une représentation du <sudarium du Christ> L'évêque condamnera
ces expositions en déclarant, en substance, qu'il s'agit d'une peinture. À
l'époque circulaient beaucoup de reliques, probablement fausses en grande
majorité. Comment la famille De Charny a-t-elle obtenu cette pièce de tissu, on
ne le sait pas.
Cette pièce de tissu
passera de main en main pour devenir finalement la propriété de la famille de
Savoie. On sait que ce tissu a été endommagé par un incendie en 1532 alors
qu'il était conservé à Chambéry, et qu'il a été réparé par des religieuses. Cet
épisode va peser lourd, bien des années plus tard. Je te dirai pourquoi en
temps voulu."
-"C'est passionnant!
mais, dis-moi: c'est presque miraculeux qu'une pièce de tissu qui aurait
enveloppé le corps du Christ ait pu traverser des siècles!"
-"Oui, mais je
résume, car tu n'imagines pas la volumineuse littérature consacrée à ce tissu.
Je résume sinon nous serions encore là pour plusieurs semaines!"
-"Bon.
Continues."
-" Nous sommes en 1898.
À l'occasion du 50e anniversaire de la constitution italienne, on décida de
présenter cette pièce de tissu aux pèlerins qui étaient à Turin. On dit que
800 000 pèlerins défilèrent devant ce que j'appellerai maintenant le
linceul. Il fut décidé de prendre en photographie la pièce exposée. On confia ce
travail à un avocat, photographe amateur, appelé Pia. Le 29 mai 1898, il réalisa
la première photographie. Lorsqu'il développa la plaque négative, il fut
stupéfié de voir apparaître une image d'une netteté exceptionnelle. Il avait
devant lui ce qu'on appellerait un cliché positif alors qu'en réalité il s'agissait
d'un négatif. C'est comme si l'image sur le linceul était un négatif
photographique!"
-"Quoi?"
-"Eh! oui!
L'empreinte sur le tissu est floue, à peine visible, mais l'image obtenue est
nette, claire, détaillée, c'est tout simplement époustouflant. On imagine
facilement la surprise et l'émotion qu'a dû ressentir Monsieur Pia. La bagarre
qui va commencer oppose des gens convaincus qu'il s'agit du linceul du Christ,
et d'autres qu'il s'agit d'un faux, les uns et les autres développant des
arguments qu'ils veulent imparables. Le
linge exerce une intense fascination sur ceux qui le contemplent et en même
temps pose une question, non résolue encore aujourd’hui : s’agit-il du
portrait de Jésus-Christ miraculeusement imprimé sur un tissu ou bien est-ce un
faux?
Si tu veux bien, ma chère
Candide, je vais te donner les arguments
principaux de cette controverse."
-"Dis-moi: quel est
ton avis?"
-" Mon avis ? Je
préfère te le dire quand j'aurai fini l'exposé d'aujourd'hui."
-"Cachottier…peux-tu
me dire pourquoi tu utilises plusieurs mots pour désigner ce tissu? Tu parles
de linceul, de linge, de suaire; je suis perdue."
-"On parle du suaire
de Turin ou du linceul. Ce n'est pas tout à fait la même chose. Commençons par
le suaire: le suaire est, selon
la tradition, le linge qui a recouvert le visage de Jésus. Au temps de Jésus, et dans
les temps qui précèdent,
le suaire (en latin sudarium, en grec soudarion)
est une sorte de mouchoir pour essuyer la sueur du visage; mais il désigne aussi une
serviette enveloppée autour de la tête du défunt, servant de mentonnière pour
lui tenir la bouche fermée et serrée au cou par une bandelette. Il ne faut donc
pas le confondre avec le linceul (en
grec sindôn) qui recouvre le corps entier; il est tissé en lin (en
grec sindôn), mais quelquefois en d'autres matières. Ainsi, dans
l'évangile de saint Jean, lors du retour à la vie de Lazare, on trouve ce
verset: <le mort
sortit, les pieds et les mains attachés, le visage enveloppé d'un suaire. Jésus
leur dit : “Déliez-le, et laissez-le aller.>. Donc, et ça n'engage que moi,
il n'est pas juste de désigner par suaire le linge conservé à Turin; le suaire
est très exactement une partie d'un ensemble, qu'on désigne par suaire de
Turin, à tort selon moi."
-"Et bien dis donc, tu en sais des
choses! dit
Candide d'un air admiratif"
-"
J'ai beaucoup lu de livres sur la
question; d'ailleurs, je pourrais t'en indiquer six…revenons au sujet de notre
entretien.
Dans les coutumes funéraires juives au 1er siècle, le
corps est couché dans un linceul. Le visage est recouvert d'un suaire, maintenu
par une bandelette. Quant au linceul, il
est maintenu par trois bandelettes, une aux pieds, une à hauteur des mains et
une au cou.
Les Évangiles synoptiques évoquent à plusieurs reprises l'usage du
linceul (en grec sindôn, [Mc 15,45.53 : Lc 23,53] ), mais ne mentionnent jamais le
suaire [Mt 27,59] <Prenant le corps, Joseph l'enveloppa dans un
linceul neuf,
et le déposa dans le tombeau qu'il venait de se faire tailler dans le roc>. L'expression signifie « un linceul casher » c'est-à-dire <satisfaisant>). L'Évangile selon Jean fait
référence, quant à lui pour le corps de
Lazare (Jn 11,44), à des bandelettes (keiriais) liant le corps et un suaire (soudàrion) sur son visage : <le mort sortit, les pieds et les
mains attachés, le visage enveloppé d'un suaire.>
La confusion
entre « suaire » et « linceul », est probablement issue
d'une mauvaise interprétation du terme soudarion de l'Évangile selon Jean.
-"Si
tu me dis tout cela, ce ne doit pas être pour m'épater par ton érudition,
non?"
-"En effet. Avant de
te présenter les arguments des <anti-suaire de Jésus> et <pro-suaire
de Jésus>, nous allons revenir à l'évangile de Jean (Jn 20,3-9):
3 Pierre partit donc avec l'autre disciple
pour se rendre au tombeau. 4 Ils couraient tous les deux ensemble, mais l'autre
disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau. 5 En se
penchant, il voit que le linceul est resté là; cependant il n'entre pas.
6 Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour. Il entre dans le tombeau, et
il regarde le linceul resté là, 7 et le linge qui avait recouvert la tête, non pas posé avec le
linceul, mais roulé à part à sa place.
8
C'est alors qu'entra l'autre disciple, lui qui était arrivé le premier au
tombeau. Il vit,
et il crut. 9 Jusque-là, en effet, les disciples n'avaient pas vu
que, d'après l'Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d'entre les morts.
Conclusion: le linceul
est à sa
place, mais le corps du défunt n'y est plus. Le suaire (le linge qui avait recouvert la tête) est à sa place, c'est-à-dire dans le linceul. On comprend alors ce
que signifie: Il
vit, et il crut.. Pour le
disciple, aucun doute n'est permis: Jésus est ressuscité!"
-"Oh Théo,
laisse-moi un peu réfléchir à tout cela."
Quelques minutes s'écoulèrent. Théo reprit son exposé.
-" Je vais te résumer
les arguments des tenants du faux, et ensuite ceux.
de ceux qui tiennent pour
l'authenticité du suaire. D'abord, L'analyse au carbone 14.
La datation au carbone 14
du linceul a eu lieu en 1988. Un protocole avait été convenu entre l'Église et
les scientifiques. L'analyse fut exécutée par trois laboratoires spécialisés,
qui affirmèrent que le linceul a été créé entre 1260 et 1390. Ce fut le début
d'une controverse, où tous les arguments possibles et imaginables furent
avancés. En effet, la datation au carbone 14 a donné des résultats incompatibles
avec ceux de toutes les études précédentes.
Les premières études qui
furent menées relèvent du domaine de la médecine. En 1902,un savant anatomiste
français très renommé, Yves Delage, réputé pour être agnostique et résolument
adversaire de tout ce qui était hors du commun, conclut dans son rapport à
l'Académie des Sciences que le suaire de Turin portait l'image du Christ. Les
opinions exprimées se partagèrent entre ceux qui étaient favorables à cette
conclusion et ceux qui y étaient opposés. Il fallut attendre les années 1930
pour qu'un savant aussi réputé que son prédécesseur, Pierre Barbet, conclue que
les blessures révélées par le linceul correspondaient à celles de Jésus décrites
dans les évangiles.
Une autre étude se pencha
sur le tissu du linceul. C'est un tissu en lin, mais avec des traces de fil de
coton. La manière de tisser est conforme à ce que l'on sait des méthodes
employées en Palestine au premier siècle.
Après la médecine, après
le tissage, s'ouvrit une étude policière, menée par Max Frei, éminent
criminologiste suisse. Il s'était signalé par un article publié en 1955
analysant la manière de truquer une photographie. C'est en 1973, alors qu'il
étudiait les photographies du suaire, qu' il s'aperçut que de fines particules
de poussière étaient étalées sur le linge. Je passe sur la méthode utilisée,
mais Max Frei acquit avec certitude qu'il s'agissait du pollen de végétaux qui
poussent dans les régions désertiques du Jourdain. S'imposa à lui alors la
conclusion que ces pollens venaient bien de Palestine puisqu’était exclue leur
existence sur le parcours du suaire pour venir de Palestine à Turin.
Après la médecine, après
le tissage, après l'enquête policière, vient à la rescousse de l'étude du
linceul un appareil utilisé par la NASA pour obtenir le relief de la Lune au
cours des expéditions menées en direction de notre satellite. C'est en 1976,
que deux ingénieurs américains de l'U.S. Air Force, Jackson et Jumper,
procédèrent à l'analyse photographique du linceul avec l'analyseur d'image, le
VP8, couplé à un ordinateur. Ils obtinrent une image en relief,
tridimensionnelle. Cela signifie que la représentation du corps sur le linceul
est codée, et obéit à une loi mathématique très précise. L'image est isotrope
c'est-à-dire qu'il n'y a pas de direction privilégiée sur cette image.
Je ne te parlerai pas de
la coloration du tissu. On sait seulement qu'il ne s'agit ni de peinture, ni de
brûlures, ni de quelque procédé connu à notre époque. Cependant, il est utile
de rappeler qu'après l'explosion de la bombe atomique sur Hiroshima, les
observateurs découvrirent des images de personnes sur des murs comme si un
flash avait projeté leur ombre sur les murs.
Enfin, dernier point. Il
concerne la projection du corps sur le linceul. Le linceul effectivement montre
un corps vu de face et de dos. L'analyse faite avec l'analyseur d'images a
suggéré aux chercheurs que l'image du linceul avait été prise en apesanteur.
Je terminerai avec une
remarque qui n'engage que moi. Je pense qu'on a oublié dans les différentes études
un phénomène exceptionnel: la résurrection. On ignore quelles en sont les
modalités. Alors, pourquoi ne pas supposer que le processus de résurrection a
formé l'image du Christ mort sur le linceul. Une idée intéressante a été émise,
à savoir que l'image aurait pu être formée par deux types de rayonnement, soit un
rayonnement de photons, soit un rayonnement de particules ionisées comme des
protons."
Un dernier mot: si faux il
y a, alors le faussaire du 13e-14e siècle avait 7 siècles d'avance sur nos
connaissances actuelles en matière de photographie, médecine, mathématiques,
atomique, et autres. C'est impossible"
-"Tu as fini?"
-"Oui."
-"Ouf! s'écria
Candide."
Cependant, après quelques instants de silence, elle ajouta: "As-tu un doute sur l'intégrité
intellectuelle des différents chercheurs."
-"Non, bien
sûr."
-"Alors, si je
retiens ta suggestion concernant les modalités de la résurrection, et si les
deux camps qui s'opposent voulaient bien retenir cette suggestion, ne serait-il
pas possible, ou même raisonnable, de dire que tous ont raison?"
-"Peut-être …. Mais le Christ a dit: <Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta
louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l'as révélé aux
tout-petits. Oui, Père, tu l'as voulu ainsi dans ta bonté.> [Lc 10,21].
Accueillons donc le linceul de Turin
comme un témoignage de la bonté de Dieu si nous croyons en Lui, et comme une
icône qui donne à réfléchir sur notre vie terrestre pour ceux qui ne
connaissent pas Dieu ou le rejettent."
C'est sur ces derniers mots que nos deux amis se séparèrent.
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Prochain texte
La
chronologie des textes du Nouveau Testament
le 3 novembre
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Chers
lecteurs, si vous avez des remarques, des observations ou des questions,
écrivez-moi à l'adresse theophile21@orange.fr
À
suivre chaque dimanche … si vous le voulez bien.
dimanche 27
novembre 2016
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