Les
entretiens du dimanche
4
Sainte Élisabeth de la Trinité
Avertissement
Le
titre de ce texte est un peu en avance sur l'évènement majeur que l'Église
célèbrera sous peu. Qu'on me pardonne cette audace!
Le
16 octobre 2016, la Bienheureuse Élisabeth de la Trinité sera canonisée. En
raison de cet événement, le texte de l'entretien de ce dimanche sera consacré à
cette jeune carmélite, qui a vécu ses dernières années au Carmel de Dijon.
L'auteur
de ce texte n'est pas un spécialiste de la vie et de la pensée de sainte
Élisabeth de la Trinité. Il s'agit simplement de présenter ici quelques
éléments de la vie et de la spiritualité de la nouvelle sainte du calendrier de
l'Église catholique.
_______________________________________________________________________________
Les entretiens du dimanche
4
Sainte Élisabeth de la Trinité
Dans le courant de la semaine, Candide
avait téléphoné à Théophile, comme convenu le dimanche précédent, pour lui
demander s'il serait possible qu'ils s'entretiennent tous les deux à propos de
la canonisation de certaines personnes. Bien qu'un peu réticent sur le choix
d'un tel sujet, Théophile avait donné son accord, mais il avait averti Candide
qu'il n'était pas trop qualifié en cette matière. Il avait donc décidé de se rapprocher
d'un de ses amis, lui aussi diacre permanent, qui habite à Dijon. Pourquoi? Mais
parce que cet ami pourrait leur parler de la Bienheureuse Élisabeth de la
Trinité. À ce jour, on savait que le diocèse de Dijon avait présenté un dossier
pour sa canonisation. Cet ami lui avait même proposé de venir le rejoindre, et
ainsi d'apporter ses humbles lumières sur la question. Théophile avait donc accepté
avec enthousiasme que son ami Louis vienne l'épauler. Louis avait aidé le curé
de la paroisse Saint-Michel pendant quelques années; ils avaient souvent parlé
de la Bienheureuse.
Théophile
venait d'accueillir son ami, lorsque Candide arriva. Après l'échange des
politesses d'usage, Théophile aborda le sujet proposé par Candide.
-" Mes amis, quand Candide m’a demandé de faire porter notre entretien
dominical sur la canonisation, j’étais conscient des nombreuses difficultés de
la tâche que j’acceptais par avance, car comment pourrais-je parler d’une
mystique, moi qui suis plutôt « collé
à la glaise » en matière de religion ? Donner une homélie,
présenter le contenu de ma foi à un catéchumène, passe encore ; certes,
c’est un exercice pas toujours facile, mais il y a des « roues de secours » ! Par
contre, choisir comme sujet de notre entretien, la canonisation, voilà un
travail à haut risque.
L’entreprise m'a surpris par son immensité. J'ai
alors pensé à requérir l'aide de Louis. De mon côté, j'ai cherché de la documentation ;
ce faisant, j'ai découvert de nombreux écrits sur Élisabeth de la trinité qui
va être canonisée, et cela m'a fourni une base documentaire énorme que je n'ai
pas pu analyser et mettre en forme pour notre entretien, vu les quelques jours qui
nous séparaient d'aujourd'hui. Aussi, je suis très heureux de la présence de Louis
qui nous apportera sans aucun doute quelques lumières sur un aussi délicat
sujet."
-
Louis prit la parole : "Merci Théo.
Tu m'as pris un peu de court, et moi aussi, je n'ai pas eu le temps de préparer
une intervention suffisamment documentée sur le thème de la canonisation.
C'est pourquoi,
plutôt que de traiter ce sujet, je préférerais orienter cet entretien sur une
figure marquante de l'Église, Élisabeth
de la Trinité. Comme tu le constates, les grands esprits se rencontrent !!! J'ai donc amené des documents que j'avais utilisés
dans le passé. Cela vous convient-il?"
Candide
approuva cette proposition, Théophile également.
- "Et
bien voilà … Je ferai de mon
mieux. Notez bien que mon exposé reprend des éléments de ma recherche de
documentation, éléments que j'ai adaptés pour donner un aperçu, mais un aperçu
seulement, de la vie d'Élisabeth
de la Trinité, de sa vocation et de sa spiritualité … Il faut que je vous présente d'abord qui était Élisabeth de la Trinité?
Élisabeth Catez, de son vrai nom,
naquit au camp militaire d'Avord, non loin de Bourges, dans le Cher, où son
père était capitaine au 8e escadron du train des équipages. C'était
le 18 juillet 1880. Le baptême de Marie-Élisabeth Catez eut lieu le 22 juillet,
à la chapelle du camp militaire, le jour de la fête de sainte Marie-Madeleine.
Son père, Joseph Catez, âgé de quarante-huit ans, engagé volontaire dans l'armée française à
l'âge de vingt et un ans, avait participé à plusieurs campagnes. Nommé
capitaine en 1875, il avait épousé, le 3 septembre 1879, Marie Rolland, fille
d'un officier retraité. Le mariage fut célébré à Saint-Hilaire, non loin de
Carcassonne (Aude). Elle avait beaucoup souffert de la mort d'un premier fiancé
pendant la guerre de 1870. Très pieuse, elle avait même envisagé de devenir
religieuse. Elle a trente-cinq ans quand elle épouse le capitaine Joseph Catez.
En mai 1881, le capitaine Catez a été désigné pour
la garnison d'Auxonne (Côte-d'Or). Ils s'installèrent à Dijon en novembre 1882.
Selon les lettres de sa mère, on sait qu' Élisabeth est un vrai petit diable. Un
front têtu, des yeux noirs, une moue boudeuse, tel est l'aspect du visage
d'Élisabeth que présente d'elle une photographie d'alors. « De vraies colères»,
« très diable », des « yeux furieux », « un regard de flamme » : telles sont
quelques-unes des expressions qu'emploient ses proches à son sujet. Élisabeth
est une enfant pleine de vie, de colère même, énergique et délicieuse.
Elle a 7 ans quand meurt son grand-père maternel,
Raymond Rolland, le 24 janvier 1887. Pire encore, Élisabeth assiste, de façon
dramatique, à la mort de son père, le dimanche 2 octobre 1887. M. Joseph Catez,
qui avait pris sa retraite en juin 1885, est victime d'une crise cardiaque. Il
meurt entre les bras d'Élisabeth.
Madame Catez s'installe, en 1888,
dans un
logement modeste,
sur la paroisse Saint-Michel, avec Élisabeth et Marguerite, sœur d'Élisabeth. Non loin de l'actuelle place
Wilson se trouve le Carmel, qui sera transféré en 1974 à Flavignerot, proche de
Dijon. La
paroisse Saint-Michel sera la patrie spirituelle d'Élisabeth pendant douze ans."
Voilà pour la
biographie très résumée d' Élisabeth de la Trinité avant son entrée au
Carmel.
Candide
et Théophile n'avaient pas interrompu Louis. La même question surgit sur leurs lèvres,
en même temps : "Peux-tu nous dire
ce qui a conduit Élisabeth à devenir religieuse, elle qui était si jeune? "
- " J'y viens.
- "La vocation d’Élisabeth
remonte à son enfance. Le témoignage du chanoine Angles l'atteste. Il est curé
de Saint-Hilaire, où Mme Catez et ses filles venaient passer des vacances, il
reçut un jour, de façon soudaine, la confidence d'une petite fille dont il
restera toujours un guide spirituel attentif et compréhensif :
« C'était un soir, raconte-t-il. Les fillettes, fatiguées de jouer, avaient entamé une
conversation enfantine. Élisabeth, par une manoeuvre rusée et savante, était
parvenue à grimper sur mes genoux. Vite, elle se penche à mon oreille et me
dit: "Monsieur Angles, je serai religieuse, je veux être religieuse...
Elle avait, je crois, sept ans...
»
Des institutrices particulières
viennent à la maison. Pour la musique, c'est le conservatoire : Élisabeth
excelle au piano, elle obtiendra à treize ans un premier prix. Pour l'éducation
religieuse, Mme Catez y veille avec soin. C'est en l’église Saint-Michel
qu'Élisabeth
fit sa première communion le 19 avril 1891. Le jour même, Madame Catez conduisit sa fille faire
une visite au Carmel.
Élisabeth reçut le sacrement
de confirmation en l’église Notre-Dame, le 8 juin 1891. À quatorze ans, après
avoir reçu le corps du Christ, elle se sentit irrésistiblement poussée à lui
vouer toute sa vie.
Élisabeth entra au Carmel le 2
août 1901 : «Au Carmel, tout est délicieux, car c'est le Bon Dieu que l'on
trouve partout. De plus en plus il me semble que c'est un coin du Ciel. Ah! que
je remercie ma petite maman d'avoir dit son «fiat» qui m'a ouvert ma prison
d'amour.» Mais tout n'est pas aussi <délicieux>; en réalité: Élisabeth a
du mal à prier, elle en vient même à douter de sa vocation. Cependant, elle
fait sa profession solennelle le 11 janvier 1903, jour de l'Épiphanie, après
des heures de grand désarroi.
La veille, elle a écrit à soeur
Marie de la Trinité: «Je viens de voir Notre Mère qui m'a avoué son inquiétude
de me voir prononcer mes voeux dans un pareil état d'âme. Priez pour votre petite qui est au
comble de l'angoisse. »
Sa vie sur terre prendra fin dans
quatre ans. On sait beaucoup de choses sur ces quatre années grâce aux 262
lettres qu'elle envoie à sa maman, à sa soeur Marguerite, à sa famille, à des
amies, à des religieuses et à quelques prêtres.
C'est en novembre 1904 qu'elle
écrit sa célèbre prière «Ô mon Dieu, Trinité que j'adore » À partir du
printemps 1905, sa santé se dégrade. La maladie d'Addison, qu'on ne sait pas
guérir à l'époque, va lui infliger, dès mars 1906, huit mois d'une terrible
agonie. «C'est la route du Calvaire qui s'est ouverte, et je suis toute joyeuse
d'y marcher comme une épouse du divin Crucifié. »
Un
long silence se fit parmi nos amis.
Enfin, Candide se manifesta pour dire son étonnement devant la volonté de la
toute jeune fille et la révélation de sa vocation: "Théo, te souviens-tu de ce je t'ai dit lors de notre première
rencontre?"
-
"ooouuui….." (ainsi
Théophile ne put cacher la faiblesse de sa mémoire)
-"Je vois. Tu as oublié … Je t'ai dit : < Théophile, tu sais que je ne suis pas baptisée. Depuis quelque
temps, il me semble que quelqu’un me parle. Je suis troublée par cette voix
intérieure. Serait-ce ton Dieu ?>
- "Ah! oui… Il est possible que tu ressentes ce qu' Élisabeth a ressenti."
- "Tu en doutes?"
- "Les voies de Dieu sont imprévisibles, ce ne
sont pas celles des hommes. Mais sois certaine que moi et mes amis nous
t'aiderons à y voir clair"
-" Louis, reprit
Candide, j'ai hâte que vous nous
éclairiez sur la spiritualité d'Élisabeth de la Trinité.
- "C'est avec joie que je
vous la présente. J'ai eu l'occasion d'en parler un soir en l'église
Saint-Michel lors d'en enseignement aux paroissiens dont m'avait chargé le curé
de la paroisse, aujourd'hui rappelé par le Seigneur….
Louis
eut quelque mal à maîtriser une vive émotion à cette évocation.
Il
poursuivit: " Ce prêtre fut pour moi
un guide et un exemple. Hélas! mes propres soucis de santé, ceux de mon épouse handicapée,
ne m'ont pas permis une relation plus suivie. Je me sens comme orphelin.
Bref, voici un condensé de mon
exposé que je vous lis: je n'en ai retenu que les passages principaux afin de
ne pas vous submerger de mots, d'idées, bref, je fais court!
Il faut d'abord se convaincre de la précoce et
irrésistible vocation de la jeune fille. La vie d’Élisabeth de la Trinité fut
brève. Mais cette vie si brève (18 juillet 1880-9 novembre 1906) est
remarquable par la sûreté et la rapidité avec laquelle elle s'est déroulée;
comme Thérèse de Lisieux, Élisabeth de Dijon est parvenue en peu d'années à une
pleine maturité spirituelle.
Cette vie est
consacrée à découvrir en soi la présence d'un Dieu qui est trois Personnes,
vivre sous son obscure clarté, attirer les autres “ au grand silence du dedans
”. La petite Élisabeth, au soir de sa première communion, recevait à la grille
du Carmel de Dijon une première indication des vues de Dieu sur elle. Mère
Marie de Jésus a évoqué le souvenir de cet entretien mémorable : « Je lui
dis que, d'après la signification de son nom, elle était l'heureuse petite Maison
du bon Dieu. Cette pensée la frappa : je la lui inscrivis au verso d'une image,
ne me doutant pas que le mystère de l'habitation divine de la Sainte Trinité en
son âme deviendrait le mot propre de sa vocation de grâce... »
Élisabeth s'est
engagée dans sa voie, non certes à la légère, mais avec une simplicité et une
décision qui déconcertent notre lenteur à croire. Il lui suffit, un matin,
durant son Action de grâces, de se sentir irrésistiblement
attirée à devenir religieuse, à se retirer du monde pour servir Dieu. Elle a alors
quatorze ans. À dix-sept ans, elle demanda à entrer au carmel de Dijon. Sa mère
s'y opposera jusqu'à la majorité de sa fille. Élisabeth se résignera, mais sans jamais renoncer à sa vocation.
Ce qui frappe le plus ceux qui cherchent à
comprendre Élisabeth, c'est l'attrait profond pour vivre de la Parole de Dieu,
pour vivre avec Dieu, et vivre pour lui. On saisit mieux alors ce qui va la
guider principalement: il s'agit de l'adoration. Je crois me souvenir qu'elle a
écrit, mais je n'en suis pas sûr, cette phrase: <Parce que l’Infini est un «
Toi » et le «Toi » un infini, il faut que le mouvement vers l'infini soit un
mouvement d'adoration.>
L'adoration est un
besoin essentiel pour Élisabeth qui contemple avec passion la vision
d'adoration dans l'Apocalypse; elle se sent saisie en son âme et invitée à tout
donner:
Ils n'ont de repos ni le jour, ni la nuit, disant : Saint, Saint, Saint
le Seigneur tout-puissant qui était, qui est, qui sera dans les siècles des
siècles... Et ils se prosternaient et ils adoraient, et ils jetaient leurs
couronnes devant le trône, disant : Vous êtes digne, Seigneur, de recevoir la
gloire, et l'honneur et la puissance... (Ap 4,8.10.11)
L'adoration
n'est pas un acte délibéré, conséquence de la réflexion. Elle s'impose là où
l'amour de Dieu se manifeste vers tout homme. Élisabeth se sent comme « écrasée sous son bonheur », écrira-t-elle, l'âme se prosterne, enfouie sous ce que saint Paul
a nommé le «trop grand amour » et qu'Élisabeth voudrait inscrire comme devise
de son existence.
Élisabeth a vécu dans la lumière du Christ et y a
tout rapporté. Ce dont elle vit, c'est l'adoration, qui remplit les nombreuses
heures où, seule devant son Dieu, elle se blottit dans la petite chapelle et,
pendant sa dernière maladie, dans un coin de la tribune, comblée par le mystère
qu'elle contemple, par la présence de Dieu, devant elle et en elle.
Voilà la leçon d’adoration que nous dispense
Élisabeth. Si cela est trop dur pour nous, pensons à cette parole d’Élisabeth
de la Trinité évoquant saint Paul :
« Ne vous
laissez jamais abattre par la pensée de vos misères. Le grand saint Paul dit : Où le péché abonde, la grâce surabonde (Rm 5,20). Il me semble que
l'âme la plus faible, même la plus coupable, est celle qui a le plus lieu
d'espérer, et cet acte qu'elle fait pour s'oublier et se jeter dans les bras de
Dieu le glorifie et lui donne plus de joie que tous les retours sur elle-même,
et tous les examens qui la font vivre avec ses infirmités, tandis qu'elle
possède au centre d'elle-même un Sauveur qui vient à toute minute la purifier»
Vous comprenez pourquoi sa prière la plus célèbre
commence ainsi :
«Ô mon Dieu,
Trinité que j'adore »?
Candide ne put
s'empêcher de faire remarquer combien une telle pratique est difficile: - - "Je ne pourrais jamais me concentrer aussi
fortement, de longs moments, dit-elle.
C'est sans doute réservé à quelques privilégiés. C'est une attitude
exceptionnelle que vous venez de nous décrire, Louis!"
- "Je le crois aussi. Au bout de tant d'années,
j'ai moi-même beaucoup de mal à prier, et pourtant la prière est un moment
essentiel de la vie d'un diacre. La liturgie des heures quotidienne est parfois
un moment difficile … je dois reconnaître qu'il m'arrive d'oublier cette
obligation. je ne suis pas parfait, je ne suis qu'un pécheur devant Dieu.
J'espère son pardon miséricordieux."
Louis sombra dans un profond silence,
perdu dans on ne saura pas quelles pensées. Théophile savait que son ami
souffrait d'une mise à l'écart de la part d'un certain nombre de personnes. Il
n'était pas "politiquement correct"
de par son originalité. Il revenait en Bourgogne après une longue absence due à
ses études, son service militaire plutôt long et un petit tour de France pour
sa carrière professionnelle. Pour beaucoup de gens à l'esprit étroit, il était
un étranger; on avait même été jusqu’à le traiter d'immigré! Et puis, une homélie percutante n'arrangea rien… Depuis,
il vivait dans une sorte d'isolement, aggravé par la maladie de son épouse.
Louis poursuivit son exposé: "Venons-en maintenant à l'évènement qui a bouleversé Élisabeth:
elle vient de lire, ou relire, je ne sais pas, un passage de la lettre aux
Ephésiens, au chapitre 1,versets 4 à 14. Je vais vous citer ce passage en en
soulignant l'expression qui a illuminé
Élisabeth, le mot n'est pas trop fort: à
la louange de sa gloire .
[pour
des raisons de commodité, le lecteur voudra bien se reporter au texte, dont
nous ne donnons ici que les trois passages significatifs]
5 Il nous a d'avance destinés
à
devenir pour lui des fils par Jésus Christ :
voilà
ce qu'il a voulu dans sa bienveillance
6
à la louange de sa gloire,
12 il a voulu que nous soyons
ceux
qui d'avance avaient espéré dans le Christ,
à la louange de
sa gloire.
14 c'est la première avance qu'il nous a
faite
sur
l'héritage dont nous prendrons possession
au
jour de la délivrance finale,
à la louange de
sa gloire.>
En
si peu de lignes, trois fois revient l'expression < à la louange de sa gloire>
Cet évènement bouleversant se produisit vers la fin
du mois de janvier 1904. Il arrive souvent ainsi qu'à la lecture de textes
fréquemment relus, ou bien lors d'une première lecture, un ou plusieurs mots se
jettent littéralement à nos yeux tel un éclair lors d'un orage, nous
éblouissant par le sens que nous en percevons.
Dans la louange à Dieu le Père et au Christ Sauveur,
l'expression « louange de gloire
» (ou « de sa gloire ») revient par trois fois. Élisabeth en est saisie. Elle
la cite pour la première fois dans une lettre. De mémoire, voici ce qu'il faut
en saisir:
« Saint Paul dit
"que nous ne sommes plus des hôtes ou des étrangers, mais que nous sommes
de la Cité des saints et de la Maison de Dieu". C'est là, en ce monde
surnaturel et divin que nous habitons déjà par la foi, que mon âme se sent [ ] sous
l'étreinte du Dieu tout Amour! [ ] Comprendrons-nous jamais combien nous sommes
aimés? [ ] Saint Paul, dans ses
magnifiques épîtres, ne prêche pas autre chose que ce mystère de la charité du
Christ Il y a deux mots qui pour moi résument toute sainteté, tout apostolat :
"Union, Amour. [ ] Que j'en vive
pleinement et pour cela que je demeure tout ensevelie en la Sainte Trinité [ ]
Unissons-nous pour Lui faire tout oublier à force d'amour et soyons, comme dit
saint Paul, "la louange de sa gloire" »
La formule de saint Paul, ainsi interprétée dans une
perspective proprement mystique, cette formule due à saint Paul va être
désormais, pour Élisabeth, la définition de sa vocation.
Dès le début de la douloureuse maladie qui va
l'emporter en quelques mois, Élisabeth, en pleine conscience de sa vocation,
écrit au chanoine Angles, le 9 mai 1906 « Il n'y a qu'en Dieu que tout est pur,
beau et saint. Puisque vous êtes son prêtre, oh, consacrez-moi à Lui comme une
petite hostie de louange qui veut le glorifier, au Ciel, ou sur la terre dans la
souffrance tant qu'Il voudra [ ] Je vis
dans le ciel de la foi au centre de mon âme et je tâche de faire le bonheur de
mon Maître en étant déjà sur la terre, "la louange de sa gloire" .
Un long temps de
silence s'abattit sur nos deux amis, Candide et Théophile, pendant que Louis
mettait de l'ordre dans ses papiers.
- "Hum!" Louis toussota. "Je vous ai asphyxié? Vous êtes bien
silencieux."
- "Non, non, protesta Théophile, mais, voilà: ton exposé est tellement dense,
et surprenant, que nous ne savons pas quoi dire. N'est-ce pas, Candide?"
- "Oui .. Je ne m'imaginais pas que l'on puisse
être aussi … je cherche mes mots … aussi bouleversé, aussi remué en soi-même,
par votre Dieu"
" Mais
, que faut-il comprendre par <être la louange de sa gloire>?
- "Je vais esquisser une réponse, si vous le
voulez bien, se risqua Louis"
- "Nous t'écoutons, ami Louis"
- "Notre foi repose sur un sentiment très fort,
qui s'appelle amour; pas l'amour tel que nous le présente la télé par exemple",
mais au sens où Jésus …. Oh! pardon
Candide … Tu sais qui est Jésus?"
- "Vaguement, mais continue"
-
"Donc, Jésus, l'envoyé de Dieu sur
notre terre, a enseigné les Juifs de son temps et leur a donné deux
commandements. À un pharisien qui lui demandait <quel est le grand
commandement donné par Dieu?>, Jésus
répondit: “ Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute
ton âme et de tout ton esprit. Voilà
le grand, le premier commandement. Et voici le second, qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même."
Cela se trouve chez Matthieu, au chapitre 22, versets 34-40.
Voilà: celui qui
croit en Dieu, celui-là se doit d'aimer Dieu, et entre autres choses de le
louer pour sa grandeur, son amour pour les hommes. Celui-là se doit d'aimer
Dieu mais également son prochain, c'est-à-dire tout homme, toute femme, sans
distinction aucune. Élisabeth a
atteint des sommets dans la compréhension du dessein de Dieu pour l'humanité.
C'est la raison qui a poussée Élisabeth à écrire: "Je
vis dans le ciel de la foi au centre de mon âme et je tâche de faire le bonheur
de mon Maître en étant déjà sur la terre, "la louange de sa gloire"
Pour Élisabeth de la Trinité, être une louange de gloire, c'est être une
âme qui demeure en Dieu, qui l'aime d'un amour pur et désintéressé, sans se
rechercher dans la douceur de cet amour. Une
louange de gloire, c'est une âme de silence qui est disponible pour
l'action en elle de l'Esprit Saint: cette âme sait que la souffrance est à
l'image de celle du Christ en croix. Une
louange de gloire, c'est une âme qui fixe Dieu dans la foi et la simplicité;
Dieu peut y résider et permettre de rayonner sa propre splendeur. Une louange de gloire c'est un être toujours
dans l'Action de grâces, car chacun de ses actes, de ses mouvements, chacune de
ses pensées, de ses aspirations, l'enracinent plus profondément en l'amour, et sont
<comme un écho du Sanctus éternel.> Une
louange de gloire c'est une âme déjà dans l'éternité avec Dieu, au ciel.
Voilà ce que je peux vous dire ; ma science est
limitée. La puissance de la pensée d’Élisabeth de la Trinité est telle que je
me dois de rester modeste, très modeste.
J’espère seulement vous avoir donné envie de lire
ses écrits et de méditer sa prière à la Trinité. »
-
« Merci, Louis
pour ton intervention, dit Théophile…
Il se tourna vers Candide : que
penses-tu de cela, Candide ? »
-
« J’ai
honte de mon ignorance. Je pense qu’un long chemin me reste à parcourir pour
devenir chrétienne. Je me sens toute petite. Certes, je n’atteindrais sans
doute jamais la pénétration du mystère de Dieu à laquelle est parvenue Élisabeth
de la Trinité. Mais je compte m’efforcer de m’instruire, grâce à toi, Théophile
qui est si patient, grâce à tes amis également. »
-
«On n’est pas
chrétien en solitaire. Il est nécessaire de vivre sa foi et sa pratique
religieuse, avec d’autres chrétiens. Mais tu rencontreras sur ta route des
personnes qui se croiront détentrices du savoir, imbues uniquement de leur
savoir, et qui oublieront d’être charitables, patientes, compréhensives,
sincèrement désireuses de te soutenir, elles ne seront que des juges sans
pitié, sans miséricorde: évite-les. Mais tu rencontreras aussi des gens
vraiment et sincèrement pieux, pratiquant sans ostentation les deux
commandements donnés par Jésus: fréquente-les.
Nos trois amis
mirent fin à l'entretien, dans un échange fraternel de paroles et de gestes
d’amitié. Quant à Candide, elle était un peu comme un boxeur saoulé de coups:
elle ne pensa pas à formuler un souhait pour le dimanche suivant. De son côté,
Théophile était songeur.
La prière à la Sainte Trinité
"Ô mon Dieu, Trinité que j'adore,
aidez-moi à m'oublier entièrement pour m'établir en vous, immobile et paisible,
comme si déjà mon âme était dans l'éternité! Que rien ne puisse troubler ma
paix ni me faire sortir de vous, ô mon immuable, mais que chaque minute
m'emporte plus loin dans la profondeur de votre Mystère!
Pacifiez mon âme,
faites-en votre ciel, votre demeure aimée et le lieu de votre repos; que je ne
vous y laisse jamais seul mais que je sois là tout entière, tout éveillée en ma
foi, tout adorante, toute livrée à votre action créatrice.
Ô mon Christ aimé, crucifié par amour, je voudrais être une épouse
pour votre coeur, je voudrais vous couvrir de gloire, je voudrais vous aimer
jusqu'à en mourir! Mais je sens mon impuissance et je vous demande de me
revêtir de vous-même, d'identifier mon âme à tous les mouvements de votre âme,
de me submerger, de m'envahir, de vous substituer à moi, afin que ma vie ne
soit qu'un rayonnement de votre vie. Venez en moi comme Adorateur, comme
Réparateur et comme Sauveur.
Ô Verbe éternel,
Parole de Dieu, je veux passer ma vie à vous écouter, je veux me faire tout
enseignable afin d'apprendre tout de vous; puis à travers toutes les nuits,
tous les vides, toutes les impuissances, je veux vous fixer toujours et
demeurer sous votre grande lumière. ô mon Astre aimé, fascinez-moi pour que je
ne puisse plus sortir de votre rayonnement.
Ô Feu consumant,
Esprit d'amour, survenez en moi afin qu'il se fasse en mon âme comme une
incarnation du Verbe; que je lui sois une humanité de surcroît en laquelle Il
renouvelle tout son mystère.
Ô Père, penchez-vous vers votre pauvre petite
créature, couvrez-la de votre ombre, ne voyez en elle que le Bien-Aimé en
lequel vous avez mis toutes vos complaisances.
Ô mes Trois, mon Tout, ma Béatitude, Solitude
infinie, Immensité où je me perds, je me livre à vous comme une proie;
ensevelissez-Vous en moi, pour que je m'ensevelisse en Vous, en attendant
d'aller contempler en votre lumière l'abîme de vos grandeurs."
________________________________________________________________________
Illustrations
successivement:
Élisabeth de la Trinité en carmélite
Élisabeth au piano
Église Saint-Michel de Dijon
La Trinité de Roublev
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire