Les entretiens du dimanche
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L'amour et la patience de Dieu
Dimanche
dernier, nos deux amis se sont quittés sur une remarque de Candide à Théophile,
une vraie question plutôt. Rappelons-nous:
-
Depuis quelque temps, il me semble que
quelqu'un me parle. Je suis troublée par cette voix intérieure. Serait-ce ton
Dieu ? … Je n’ai pas osé en parler à ma famille ni à mes amis, de crainte
qu’ils ne se moquent de moi. … Je me suis dis que, toi qui est diacre, tu
m’écouterais, que tu m’aiderais à y voir clair. Veux-tu m’aider ?
C'est
ainsi qu'après la messe, Théophile alla retrouver Candide dans le petit cloître
de l’église. Elle était toute pensive. Ce qui occupait ses pensées ne pouvait sans
doute pas s’exprimer facilement. Cependant, si elle venait demander conseil à
son vieil ami, c'est bien évidemment parce qu'elle avait confiance en lui et savait
qu'elle ne risquait pas un accueil moqueur à ses interrogations. La différence
d'âge était aussi un gage de respect et d'écoute attentive, et de compréhension
également.
Il
est vrai que parler de Dieu aujourd'hui est difficile dans notre société qui se
proclame laïque et même laïciste. Aujourd’hui, très peu de personnes osent
ouvertement parler de leur religion. Le
monde politique, au plus haut niveau et dans sa majorité, veut restreindre
l'exercice de la religion "dans la
sphère privée"; un comble pour un peuple si fier de sa Déclaration des
droits de l'homme, de sa liberté conquise il ya plus de deux siècles, et de
l'affirmation de ses aspirations à la fraternité dans un esprit d'égalité! Un de
mes professeurs de philosophie soutenait l'idée que la liberté s'arrête où
commence celle des autres; belle définition, à laquelle semble se substituer une nouvelle
conception, plus restrictive, celle qui donnerait le droit arbitraire de
limiter la liberté de ceux qui n'ont pas le bonheur de plaire! (Avez-vous noté
comme on parle beaucoup de droit et
peu de devoir ?)
Un
autre écueil réside dans le prêchi-prêcha ou, pire, dans une sorte d’affirmation
péremptoire de sa croyance.
Nos
deux amis étaient assis entre deux colonnes du cloître. Le dimanche précédent, Candide
avait écouté attentivement les propos de Théophile, sans l'interrompre. Aujourd'hui
encore, un long silence s'était établi entre eux, seulement agrémenté par le roucoulement
de deux tourterelles.
Apparemment,
Théophile ne voulait pas bousculer Candide par des questions. Au bout de
quelques instants, elle rompit enfin le silence.
- "Théophile, je ne sais comment te dire
clairement ce que je ressens. Il me semble que mon imagination me joue un tour.
Si Dieu existe, comment pourrait-il s’intéresser à moi ? Je ne suis rien,
je ne crois pas en Lui, je n’ai reçu aucune éducation religieuse?"
Elle
se tut à nouveau. Théophile respectait son silence, car il comprenait son trouble,
ses hésitations. Théophile avait vécu la même expérience avant d'être ordonné
diacre.
- "Ma pensée est hésitante, reprit Candide. Croire en Dieu avec tout le mal qui nous
entoure, les famines, les guerres, les attentats, est-ce possible ? …Crois-tu
que cette voix intérieure n’est pas le fruit de quelque divagation ?"
- "Candide … tu es une personne équilibrée et ce
que tu ressens en toi est une réalité. Je vais te raconter ce qui m’a conduit à
la foi qui est mienne.
et Théophile lui raconta son cheminement:
- "Vois-tu! Je suis né dans une famille diversement croyante et
pratiquante ; mes parents m'ont donné une bonne éducation religieuse que je
n'ai pas cultivée après le catéchisme. Du catéchisme qui me fut enseigné, je
n’ai rien retenu, mis à part les récits de la guerre des Maccabées. Avoue que
c’est nul: retenir un récit de guerre alors qu'on m'enseignait une religion qui
prône l'amour fraternel, la charité, la compassion, et j'en passe...."
Mon père, qui était officier d'artillerie, avait vécu une expérience
terrible lors de la Seconde Guerre mondiale. Il s'était retrouvé isolé au cours
d'un dur combat dans le nord de la France. Pourchassé par des patrouilles
allemandes, il ne dut son salut qu'en passant une nuit, dans l'eau glacée d'une
rivière envahie de roseaux. Il fit alors une promesse à Dieu, celle d'aller
chaque dimanche à la messe. Les soldats ennemis abandonnèrent la poursuite. Cette
promesse, il l'a tenue jusqu'à sa mort.
Il m'avait raconté cet épisode. Chaque dimanche, je l'accompagnais à la
messe; par modestie et aussi par humilité, nous restions au dernier rang de
chaises de l'église. Tous les deux, en silence, nous participions à l'office.
Il n'y eut pas que mon père qui manifestait sa foi. Ma grand-mère
maternelle était très pieuse; je la revois, avec beaucoup d'émotion, assise
dans notre jardin, priant le chapelet à la Vierge Marie. Depuis de longues
années, j'ai une grande dévotion pour Marie… Si tu le souhaites, je te donnerai
la prière qu'on attribue à saint Bernard.
Jusqu'à l'âge de vingt-quatre ans, j’allais à la messe, mais je ne
ressentais pas grand-chose, je restai passif : dite en latin, par un
prêtre tournant le dos aux fidèles, il n’y avait là rien de bien entraînant.
Puis mes études supérieures et un long service militaire m’ont éloigné de
l’Église. Ma formation
scientifique se rebellait à l’idée de ce qu’elle considérait comme irrationnel.
Ces années d'éloignement furent aussi une période où la prière a été
inexistante dans ma vie. Je me suis marié. C'est après le concile Vatican II,
dont j'ai suivi les travaux d’assez loin, que j'ai retrouvé le chemin de l'Église.
Beaucoup plus tard, au cours d’une messe, un passage de la lettre de saint Jacques
me donna un choc. Le voici :
« Parlez et agissez comme des
gens qui vont être jugés par une loi de liberté… À quoi cela
sert-il, mes frères, que quelqu'un dise: <J'ai la foi>, s'il n'a pas les
oeuvres? La foi peut-elle le sauver? ... » (Jc 2,12.14)
Plus tard encore, pendant un
pèlerinage à Lourdes, second choc :
« Quiconque entend ces paroles que je viens de
dire et ne les met pas en pratique, peut se comparer à un homme insensé qui a
bâti sa maison sur le sable. La pluie est
tombée, les torrents ont dévalé, la tempête a soufflé, elle a secoué cette
maison ; la maison s'est écroulée, et son écroulement a été complet. »(Mt 7,26-27)
Ce fut le point de départ d’un long cheminement de dix ans qui m’a
conduit à l’ordination diaconale. Un prêtre âgé et d'esprit ouvert m'a
accompagné: je lui dois beaucoup.
Vois-tu,
Dieu est patient, Il ne bouscule pas celui en qui Il met sa confiance; son
amour et sa patience sont infinis, et surtout Dieu respecte notre liberté de
répondre oui ou non à son appel; notre réponse, si elle est positive, s'appelle "vocation", du latin vocare (appeler). En effet, Dieu laisse toute liberté à celui, ou celle, qu’il appelle..
Dieu sait quelles sont les forces et les faiblesses de chacun; sa miséricorde
est tout acquise à celui et à celle qu’Il sollicite."
"L'amour
véritable respecte la liberté de l'être aimé. Il contribue à son
épanouissement, il est patient, il ne s'impose pas"…
Connais-tu
le passage de saint Paul dans sa première lettre aux Corinthiens? … Non, bien
sûr, suis-je bête! Le voici, très résumé, car il est assez long. C'est saint
Paul qui parle:
J'aurais beau parler
toutes les langues de la terre et du ciel, si je n'ai pas la charité, s'il me
manque l'amour, je ne suis qu'un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante…
S'il me manque l'amour, je ne suis rien. J'aurais beau distribuer toute ma fortune
aux affamés, j'aurais beau me faire brûler vif, s'il me manque l'amour, cela ne
me sert à rien.
L'amour prend
patience ; l'amour rend service ; l'amour ne jalouse pas; il ne se vante pas,
ne se gonfle pas d'orgueil ; il ne fait rien de malhonnête ; il ne cherche pas
son intérêt ; il ne s'emporte pas ; il n'entretient pas de rancune ; il ne se
réjouit pas de ce qui est mal, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il
supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout.
L'amour ne passera
jamais.
(1 Co 13,1-13)
Ce que n'a pas dit Théophile à Candide,
afin de ne pas la troubler, c'est que l'amour dont parle saint Paul est celui
qui ira jusqu'à donner sa vie à l'être aimé, s'il le faut. C'est l'agape. Peut-être, plus tard, Théophile
se lancera -t-il dans cette explication?
Candide avait écouté très
attentivement; elle était plongée dans ses pensées...
-
"Si je comprends bien ce que tu veux
me dire, reprit-elle, ce serait ce
qui me pousse en ce moment, ce pourrait bien être Dieu ? Mais pourquoi moi ?"
-
"Bonne question. Vois-tu, Candide,
ce qui m’est arrivé a nécessité beaucoup d’années de réflexion,
d'interrogations, de doute aussi... Rien n’était clair ni évident pour moi. Ma
famille connaissait mes interrogations; elle m'aidait beaucoup.
Ce
n'est pas facile de répondre « oui » à Dieu. Ça prend du temps. Il ne
faut pas que tu restes seule, il faut parler de ce qui t’arrive et ne pas
craindre l’indifférence ou l’ironie des autres. Et surtout, il te faut
rechercher ce qui fait le cœur de la foi du chrétien... La raison est la
patronne au début, et puis un jour c’est le cœur qui prend le relais et reconnaît
Dieu.
C'est par un cheminement plus ou moins
long que tu découvriras si c'est Dieu qui t'appelle. Peut-être, ce n'est qu'un
besoin de vérité qui te préoccupe actuellement."
Un long silence se fit. Candide
réfléchissait. La lutte intérieure qui se livrait en elle transparaissait sur
son visage. Toute son attitude montrait combien elle hésitait entre
un « non » immédiat et
définitif et un « peut-être bien que
… »
Enfin, Candide sortit de sa réflexion :
- « Dimanche prochain, pourrais-tu me parler de
ta foi ?»
L'heure qui s'était écoulée les avait
séparés du monde, les plongeant tous deux dans un abîme de silence, de
réflexion aussi, peut-être même de perplexité pour Candide.
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Complément
à cet entretien
26e
dimanche du temps ordinaire, année C.
Évangile selon saint Luc : Lc 16,19-31
19 “ Il y avait un homme riche, qui portait
des vêtements de luxe et faisait chaque jour des festins somptueux. 20 Un
pauvre, nommé Lazare, était couché devant le portail, couvert de plaies. 21 Il
aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais
c'étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses plaies.
22 Or le pauvre mourut, et les anges
l'emportèrent auprès d'Abraham. Le riche mourut aussi, et on l'enterra. 23 Au
séjour des morts, il était en proie à la torture ; il leva les yeux et vit de
loin Abraham avec Lazare tout près de lui. 24 Alors il cria : 'Abraham, mon père,
prends pitié de moi et envoie Lazare tremper dans l'eau le bout de son doigt
pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise.
- 25 Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : Tu as reçu le bonheur pendant
ta vie, et Lazare, le malheur. Maintenant il trouve ici la consolation, et toi,
c'est ton tour de souffrir. 26 De plus, un grand abîme a été mis entre vous et
nous, pour que ceux qui voudraient aller vers vous ne le puissent pas, et que,
de là-bas non plus, on ne vienne pas vers nous.'
27 Le riche répliqua : 'Eh bien ! père, je te
prie d'envoyer Lazare dans la maison de mon père. 28 J'ai cinq frères : qu'il
les avertisse pour qu'ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de torture !
29 Abraham lui dit : 'Ils ont Moïse et les Prophètes : qu'ils les écoutent ! -
30 Non, père Abraham, dit le riche, mais si quelqu'un de chez les morts vient
les trouver, ils se convertiront.' 31 Abraham répondit : 'S'ils n'écoutent pas
Moïse ni les Prophètes, quelqu'un pourra bien ressusciter d'entre les morts :
ils ne seront pas convaincus.' ”
Nous
pourrions méditer ce commentaire de saint Jean Chrysostome:
Riches ou pauvres, efforçons-nous d'imiter Lazare !
Lui qui eut à soutenir, non pas un malheur, ni deux, ni trois, mais une
multitude : pauvreté, maladie, délaissement, abandon de tous ceux qui eussent
dû le secourir. Il a souffert jusque dans la maison qui pouvait le mieux le
libérer de tous ces maux ; mais personne n'a daigné lui accorder la plus infime
consolation.
Nota : saint Jean Chrysostome ( vers 344 - mort en 407) a été archevêque de Constantinople et l'un des Pères de l'Eglise grecque. Son éloquence est à l'origine de son surnom de
« Chrysostome » (en grec, littéralement « Bouche d'or »). Sa
rigueur et son zèle réformateur l'ont conduit à l'exil et à la mort.
C'est
un saint et un docteur de
l'Eglise catholique, de l'Eglise orthodoxe et
de l'Eglise copte, fêté le 13 septembre en Occident et le 30 janvier en Orient.
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Les
illustrations
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L'appel de Samuel: la vocation de Samuel est relatée dans la Bible (Ancien
Testament: 1 Samuel 3, 1-10,19 - 4, 1 a
Vocation prophétique de Samuel.
- Lazare et
l'homme riche: Bible (Nouveau Testament) en Lc 16,19-31
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Chers
lecteurs, si vous avez des remarques, des observations ou des questions, écrivez-moi à l'adresse theophile21@orange.fr
a dimanche prochain, si vous voulez bien.
a dimanche prochain, si vous voulez bien.
dimanche
25 septembre 2016
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