Les entretiens du dimanche
3
La foi
Ce dimanche-là, il tombait une pluie
fine, qui imprégnait toute chose, toute personne. "Voilà, se dit Théophile, un
phénomène naturel qui pourrait peut-être bien m'aider aujourd'hui pour
l'entretien avec Candide." En lui-même, il se félicitait d'avoir fait
appel à son ami François, pour l'aider à parler de la foi à Candide.
"Mais d'abord, cherchons un endroit abrité et sec pour cet entretien"
Le curé de la paroisse lui proposa une petite salle à côté de l'église. Théophile
s'en réjouit.
Par la fenêtre de la petite salle, il
aperçut François qui arrivait. Un solide gaillard, d'une quarantaine d'années.
Ingénieur électricien, ceinture noire en judo de surcroît. À trente ans, il
prit conscience de la vanité de sa vie: il s'en ouvrit à un prêtre de sa
connaissance, qui lui conseilla de faire une retraite dans un monastère. Résultat:
mon ami devint "frère François" … moine franciscain! La pauvreté
après l'aisance financière, une cellule spartiate équipée du strict nécessaire
après un très confortable et coûteux appartement, un vêtement dans une étoffe grossière
au lieu d'un complet veston en tweed grand chic… Voilà pourquoi Théophile se
réjouissait de la venue de François pour l'aider à répondre aux questions sur
la foi que Candide allait sans doute leur distiller. François avait vécu une
expérience bien en rapport avec la demande de Candide.
Candide arriva, toujours aussi vive, le
parapluie largement déployé, le sourire aux lèvres. Théophile fit les
présentations:
-"Candide, je te présente frère François, mon
ami, ingénieur de formation qui a préféré la pauvreté aux joies de
l'électricité! "
-
La carrure et l'habit de François impressionnèrent Candide
"Bonjour… Vous êtes un vrai moine?.... Ah! je
comprends … Théophile a besoin de secours? Le pauvre!"
-
"Du secours? je ne sais pas vraiment,
intervint François… Bien que diacre,
il ne sait sûrement pas tout de sa propre religion. Quant à sa foi, je n'ose
pas me prononcer, n'est-ce pas Théo?"
Théophile
ignora cette remarque, et s'empressa de résumer pour François les deux
entretiens déjà vécus:
-
"Candide souhaite que nous lui
parlions de la foi, de notre foi plus exactement, devrais-je dire"
-
"Veux-tu commencer, François"
-
"Bien. Je vais tenter d'être aussi
clair que possible pour vous.
D'abord, le mot
<foi >: que signifie-t-il ? ... Il est assez proche du mot <confiance>… Mais, en matière de
religion, il a un sens qui mérite une
analyse un peu spéciale ... Attention, chère Candide, voilà un peu de grammaire!
Je commence. Accroche-toi!
- "Je suis prête, les oreilles
grandes ouvertes!"
- "Bien … En religion, on a coutume
de dire que l'acte de foi comporte trois éléments :
1°- Il y a d'abord le consentement de la raison : je crois que Dieu existe et qu'il
s'est révélé à nous c'est-à-dire que je considère comme vraisemblable ou
probable que Dieu existe. À noter que "Dieu" est employé au
singulier, ce qui revient à exclure l'éventualité du polythéisme.
2°- Il y a ensuite le consentement de la volonté : je crois Dieu, c'est-à-dire que j'ai
confiance en lui, je me repose entièrement sur lui. Je crois pour sincère,
véridique, la parole de Dieu rapportée dans la Bible. J'ajoute foi à ce que
Dieu dit.
3°- De ces deux points de vue découle le troisième :
je crois en
Dieu c'est-à-dire que je me mets en route vers lui et avec lui.
En conclusion :
ð je crois que
Dieu existe et n'est pas une construction abstraite de l'imagination
humaine. Je crois Dieu, et je crois en Dieu puisque j'ai confiance en lui.
ð Il en résulte qu'il faut donc que je me mette en route avec le Christ, car il a dit
à ses apôtres et ses disciples:
"Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la
fin du monde" (Mt 28,20).
Il leur dit aussi: "Allez dans le monde entier
proclamer l'Évangile à toute la création." (Mc 16,15)) et: «De toutes les
nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du
Saint-Esprit » (Mt 28,19 ).
Pour
saint Augustin qui est l'auteur de cette décomposition du concept de la foi en
trois éléments, la progression se fait dans le sens de plus en plus fort : par la raison il considère comme
vraisemblable ou probable l'existence de Dieu, puis par volonté il tient Dieu pour sincère et véridique, il ajoute foi
à ce qu'il dit, enfin il a confiance en Dieu et il se met en chemin vers Dieu et à la suite de Dieu."
Candide avait écouté, en silence, très
attentivement. Elle "digérait" ce copieux exposé, peut-être un peu
trop analytique … Frère François et Théophile respectèrent son silence; Candide
réfléchissait, elle semblait si absorbée par ses pensées que tous les deux
n'osèrent pas lui adresser la moindre parole. Qu'est-ce qui allait se passer lorsque Candide
sortirait de son silence?
Enfin,
elle reprit vie.
-
"Frère François, merci pour la leçon
de grammaire, dit-elle avec une pointe d'ironie. Vous avez cité saint Augustin: qui c'est?"
- "Pour
faire court, reprit
frère François, je dirai que Augustin (354-430)
mena dans sa jeunesse une vie assez agitée, éloignée de la religion chrétienne.
Puis, un jour, il eut une révélation, qui changea radicalement son existence.
Il fut un grand évêque, philosophe et théologien éminent. Après sa mort, sa
conduite exemplaire lui valut d'être distingué par les chrétiens qui le
déclarèrent saint…vous savez, Candide, que ce résumé ne ferait peut-être pas
l'unanimité dans l'Église, mais j'ai voulu être bref pour en venir à
l'essentiel de votre demande concernant la foi."
- Merci frère, mais
< se mettre en chemin>, ça veut dire quoi? … Non, ne dites rien, intervint-elle
en voyant François près de répondre. Et
pourquoi <avec le Christ>? .. Faut-il
avoir lu la Bible, entièrement ou non, parce que c'est un livre volumineux,
décourageant a priori, non? Pas étonnant
qu'il y ait si peu de monde à la messe! Tout ce que vous dites est décourageant,
ça suppose une volonté et une assiduité permanentes … "
-
François lui répondit: "Il est
certain que la progression dont parle saint Augustin se fera de façon
personnelle et unique pour chaque personne. Tout dépend du milieu social, du
degré de culture de chacun, mais, et j'insiste sur ce point, tout dépendra du
cœur plus que de la raison. La révélation de Dieu peut-être soudaine, mais
aussi prendre du temps"
- "Ce fut
mon cas, murmura
Théophile. Dans mon enfance, l'exemple de
ma grand-mère m'irrita d'abord. Toujours prier, Jésus à toute occasion … Ouh!
Puis l'adolescence, malgré un catéchisme bâclé et raccourci, me fit comprendre
certaines choses. Avec la jeunesse du jeune homme, je pris mes distances avec
la religion, jusqu'à tout oublier. C'est beaucoup plus tard que Dieu me
rattrapa; il ne m'avait pas oublié, mais il fallait que j'atteigne enfin le
stade où la raison cède la place au cœur.
-
Reprenant les mots de Candide, frère François lui dit:
"Décourageant … voilà le mot que tu as
utilisé à propos de la Bible. C'est vrai, à première vue. Pas d'images,
quelquefois des mots et des expressions incompréhensibles … Bref, ce n'est pas
un livre attrayant. Mais c'est le livre le plus vendu et lu dans le monde
entier, même dans les pays d'athéisme pesant. Une Bible classique, c'est près
de 1.800 pages, double colonne! Pas question de commencer par la première page!
Tu n'irais pas loin.
C'est comme de visiter un vaste musée,
par exemple le Louvre à Paris. Tu feras comme la majorité des visiteurs: le nez
en l'air, peut-être un petit guide en main, pas sûr. Au bout d'un moment, les
jambes deviennent lourdes, le besoin de s'asseoir se fait pressant, quelques bâillements
surviennent, et puis le visiteur, accablé par l'immensité de la tâche, se lève
et s'en va.
Pour
la Bible, c'est pareil."
-"Alors, c'est sans espoir?" s'écria Candide.
-
"Bien sûr que non! Il y a deux
possibilités: soit faire partie d'un petit groupe d'étude biblique, souvent en
paroisse à l'initiative d'un prêtre, soit participer à la messe dominicale. En
effet, dans sa sagesse, l'Église a sélectionné des textes proposés chaque
dimanche, répartis sur trois années, désignées par les lettres A, B, et C. Le
paroissien assidu à la messe dominicale prendra ainsi connaissance des
principaux passages de la Bible, et avec un peu de chance bénéficiera du
commentaire apporté par le prêtre célébrant ou le diacre qui l'assiste… à
condition de ne pas se laisser aller à un moment de rêverie!!!
Évidemment, cela ne dispense pas d'un
travail personnel d'étude et de réflexion.
J'allais oublier: sur internet, on
trouve des sites religieux dignes de confiance qui apportent des propositions
de méditation, de prière, avec des commentaires sérieux et documentés.
-
"Théo, je compte sur toi pour me
guider, n'est-ce pas?"
-
"Oui, Candide".
-
"Vous êtes des amis très chers, toi
Théo et vous aussi frère, souligna Candide; le temps passe vite, et j'aurais encore d'autres questions. Ce sera
pour une prochaine fois."
-
" De quoi parlerons-nous dimanche
prochain?" demanda Théophile à Candide.
-
" Je n'ai pas d'idée à l'instant; il
y a tellement de choses à apprendre ou à comprendre. Laisse-moi y réfléchir",
soupira-t-elle.
Ils se quittèrent sur ces mots. La pluie
avait cessé; un timide rayon de soleil perçait les nuages gris sombre. Nos
trois amis étaient heureux de ce temps de partage: il était utile à Candide,
mais peut-être plus encore à frère François et à Théophile.
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Complément
à cet entretien
27e
dimanche du temps ordinaire, année C.
Évangile selon saint Luc 17,6-10
05 Les Apôtres dirent au
Seigneur : « Augmente en nous
la foi ! »
06 Le Seigneur répondit :
« Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez
dit à l’arbre que voici : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et
il vous aurait obéi.
07 Lequel d’entre vous, quand son
serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des
champs : “Viens vite prendre place à table” ?
08 Ne lui dira-t-il pas plutôt :
“Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange
et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour” ?
09 Va-t-il être reconnaissant envers
ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ?
10 De même vous
aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites :
“Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir.”
Proposition
de médiation
Il
faut nourrir sa foi !
On ne le répétera jamais assez. Combien de chrétiens se sentent incapables de
parler de leur foi, simplement parce qu'ils vivent sur les acquis de leur
catéchisme (ou ce qu'il en reste), et sur les quelques paroles des homélies
qu'ils ont pu saisir.
L'étude de la Parole de Dieu est une nécessité pour étayer et renforcer
la foi, mais cette étude ne saurait être un but en soi: la charité ne doit pas
être absente de nos activités religieuses, sous peine de rendre vaine et
stérile notre foi. Le message de
l'Évangile ne doit pas rester sans mise en pratique comme nous y exhorte
saint Jacques :
Mettez la Parole
en application, ne vous contentez pas de l'écouter : ce serait vous faire illusion.
Car écouter la Parole sans la mettre en application, c'est ressembler à un
homme qui se regarde dans une glace, et qui, aussitôt après, s'en va en oubliant
de quoi il avait l'air. Au contraire, l'homme qui se penche sur la loi
parfaite, celle de la liberté, et qui s'y tient, celui qui ne l'écoute pas pour
l'oublier, mais l'applique dans ses actes, heureux sera-t-il d'agir ainsi. (Jc 1,22-25).
C'est en méditant la Parole de
Dieu que nous affermissons notre foi. Dans l'étude de l'Écriture, nous
puisons persévérance et courage: la Parole aide
à chercher et comprendre le sens de notre pèlerinage sur la Terre. Relisons
saint Paul (Rm 15, 4-9a.13):
Or, tout ce que
les livres saints ont dit avant nous est écrit pour nous instruire, afin que
nous possédions l'espérance grâce à la persévérance et au courage que donne
l'Écriture. Que le Dieu de la persévérance et du courage vous donne d'être
d'accord entre vous selon l'esprit du Christ Jésus. Ainsi, d'un même coeur,
d'une même voix, vous rendrez gloire à Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus
Christ.
Accueillez-vous
donc les uns les autres comme le Christ vous a accueillis pour la gloire de
Dieu, vous qui étiez païens. Si le Christ s'est fait le serviteur des Juifs,
c'est en raison de la fidélité de Dieu, pour garantir les promesses faites à
nos pères ; mais, je vous le déclare, c'est en raison de la miséricorde de Dieu
que les nations païennes peuvent lui rendre gloire.
Que le Dieu de
l'espérance vous remplisse, vous qui croyez, de joie et de paix parfaites, afin
que vous débordiez d'espérance par la puissance de l'Esprit Saint.
L'étude de la
Parole de Dieu est indispensable pour approfondir notre foi. Il ne faut pas se laisser décourager par l'apparition de
nouvelles questions qui surgissent et qui
peuvent, dans certains cas, faire croire à une régression de la foi, voire
faire naître le doute. Persévérer est vital pour notre foi : « Il faut que, par la foi, vous teniez, solides et
fermes ; ne vous laissez pas détourner de l'espérance que vous avez reçue en
écoutant l'Évangile proclamé à toute créature sous le ciel » (Col 1,23).
Sans nourriture par la Parole
de Dieu, la foi s’appauvrit
inexorablement. Cependant, ne nous décourageons pas : le
Seigneur nous vient toujours en aide; ce n'est pas lui qui nous abandonne, mais
c'est nous qui doutons de Lui.
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Les
illustrations
- Saint François d'Assise de Francisco de Zurbaran (1598–1664)
- Nota: la robe de
frère François est faite d'un tissu de laine assez grossier, appelé bure. Cette étoffe sert de base à la confection de vêtements pour les religieux et en particulier
pour les habits des moines.
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Chers
lecteurs, si vous avez des remarques, des observations ou des questions,
écrivez-moi à l'adresse theophile21@orange.fr
À
suivre chaque dimanche … si vous le voulez bien.
dimanche
2 octobre 2016