jeudi 2 mars 2017

La tentation de Jésus

Les entretiens du dimanche
25
1er dimanche du carême 2017 (A)
Jésus au désert résiste au Tentateur.

            Ce premier dimanche de carême, Candide est arrivée avec quelques minutes d’avance sur l’heure habituelle. Théophile consultait ses notes, ce qui ne l’empêcha pas d’accueillir son amie avec joie.
-« Je t’ai aperçue, mercredi dernier, au fond de l’église. Alors ! Que penses-tu de la célébration des cendres ? »
-« C’est émouvant. D'abord, il y avait du monde, malgré l’heure en soirée. J’ai trouvé que les paroissiens étaient recueillis … Et puis, la procession des fidèles pour recevoir les cendres : quel silence ! Oui, vraiment émouvant. »
-«  Bien. Aujourd’hui, nous abordons les lectures du premier dimanche de Carême. L’évangile est consacré à la tentation de Jésus par le démon, ou le diable si tu préfères, ou encore Satan. Cela se passe dans une partie désertique d’Israël…. As-tu lu les textes de ce jour ? »
-« Non. »
-« Bon, alors je prends l’évangile de Matthieu, au chapitre 4, versets 1 à 11. Avant, je te signale que saint Luc et saint Marc ont également relaté cette tentation. Je lis :
< Jésus fut conduit au désert par l'Esprit pour être tenté par le démon.  2 Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. 3 Le tentateur …> …. »
Théophile s’interrompit, car il avait vu, avec étonnement, que Candide ne l’écoutait plus, et qu’elle avait fait la grimace.
-« Candide, que se passe-t-il ? »
-« Il y a que je m’étonne que l’Esprit conduise Jésus au désert. Tu m’as dit, ou bien j’ai lu ou entendu cela quelque part,  que Jésus est le Fils de Dieu, qu’il est homme et Dieu à la fois, et je m’étonne qu’il ne soit pas allé de lui-même au désert. Voilà. … D’autant que son guide est de nature divine lui aussi. C’est bizarre. »
 
La tentation de Jésus
Duccio di Buoninsegna
Théophile ne sut que répondre à cette réflexion de Candide, qui, apparemment, était quelque peu amusée d’avoir « collé » son ami. Elle attendit tranquillement que Théo reprenne ses esprits.    -« Et bien ! Pour une surprise, c’est une surprise ! Tu m’épates … Quoi te dire ? … Laisse-moi une minute pour que je te réponde de façon simple."

Après quelques instants de réflexion, Théophile se manifesta : "Pardonne-moi, chère amie, d'avoir pris un moment de réflexion avant de te répondre. D'abord, je ne suis pas théologien, j'insiste sur ce point; n'ayant pas reçu de formation approfondie en théologie, cela fait que je dois rester prudent dans ma réponse. Il est bien exact que le Dieu que Jésus nous a révélé est Dieu en trois personnes, de même nature. Je pense qu'il est assez facile de concevoir Dieu Père, créateur, et Jésus, Dieu également, engendré non pas créé et de même nature que le Père, comme le proclame notre credo. Plus tard je t'expliquerai ce distinguo sur l'origine de Jésus.
Par contre, il est plus difficile d'expliquer ce qu'est l'Esprit Saint. J'ai trouvé dans un livre dont je te donnerai le titre et l'auteur, un auteur parfaitement respecté et théologien. Pour faire simplement et saisir ce qu'est l'Esprit Saint, il a pris l'image d'un homme et d'une femme qui fondent un foyer. Tous les deux sont bien de même nature, mais ils sont deux personnes distinctes. Ce qui les unit, c'est l'amour qu'ils se portent mutuellement l'un envers l'autre, un amour qui va de l'homme vers la femme, mais le même amour qui va aussi de la femme vers l'homme. Il est évident que cet amour n'est pas matérialisé, mais il unit la femme et l'homme. Et bien, c'est un peu la même chose pour l'Esprit Saint: les réflexions menées dans les premiers siècles par les Pères de l'Église ont conclu que l'Esprit Saint est une personne de même nature que le Père et le Fils, qu'il est le lien entre le Père et le Fils. As-tu compris ? "
-"Je…je crois avoir saisi ce que cette analogie suggère. … C'est sûrement plus subtil, n'est-ce pas?"
-"Effectivement. Par exemple, le catéchisme qu’avaient édité les évêques de France donnait une explication, disons, plus biblique ! L’Ancien Testament avait retenu le symbole d’un vent, dont Jésus a dit <qu’il souffle où il veut> [Jn 3,8], d’où sa dénomination classique de <souffle de Dieu>. Il souffle fort ou murmure. C’est l’Esprit que l’Église reconnaît à l’œuvre dans la création du monde : < La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l'abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux.> [Gn 1,2]. Et cet Esprit est toujours à l’œuvre dans l’histoire du monde : Dieu le donne sans compter à Jésus [Jn 3,34], dans ses gestes, dans ses paroles. C’est l’Esprit qui sera donné aux apôtres et aux premiers disciples le jour de la Pentecôte [Ac 2,1-13].
Nous approfondirons tout cela plus tard, si tu veux bien? … En vertu de ce que je viens de t’enseigner sur l’Esprit Saint,, Jésus est conduit au désert par l'Esprit pour être tenté par le démon: cela signifie que Dieu a donné  à Jésus, par l'entremise de l'Esprit, la mission d'être confronté au démon pour prouver à celui-ci que rien ne le détournera de sa mission sur Terre.
Reprenons notre lecture:
<Jésus fut conduit au désert par l'Esprit pour être tenté par le démon. 2 Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. 3 Le tentateur s'approcha et lui dit : “ Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. ” 4 Mais Jésus répondit : “ Il est écrit : Ce n'est pas seulement de pain que l'homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.>
Arrêtons-nous là. C'est la première des trois tentations. Les trois tentations qu'énonce Matthieu résument toutes celles que l'homme peut connaître : voir ses désirs immédiatement satisfaits et s'assurer soi-même sa propre existence ; éprouver sa toute-puissance et se prendre pour l'égal de Dieu ; dominer les hommes et régner sur la terre.
            Le démon, nom, qui veut dire Accusateur, Calomniateur, parfois traduit  <Satan> (Adversaire), est un personnage qui s’applique à mettre les hommes en faute. Il est tenu pour responsable de tout ce qui contrecarre l’œuvre de Dieu et du Christ.
Par trois fois, le démon tentateur cherche à défaire le lien entre Jésus et son Père en proposant, avec subtilité,  à Jésus de se détourner de sa mission. Mais Jésus sachant de qui il a reçu sa mission, accepte pleinement la volonté de son Père. Parole du Père, il est venu accomplir ce que les prophètes ont annoncé, et sa mission de Fils est de faire la volonté de celui qui l'envoyé, comme il le redira  encore lors de son dernier combat avant sa Passion : «Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux» (Mt 26, 39).
Des tentations à la Transfiguration qui sera l'objet du 2e dimanche de Carême, Jésus révèle sa véritable identité : il est le Messie venu accomplir ce que Dieu a promis aux hommes."
-"Ami Théo, je comprends tout cela. Cependant, dans l'évangile, il y a quelque chose qui me tracasse."
-"Quoi donc?"
-"Le démon dit à Jésus : < Si tu es le Fils de Dieu, etc.> Je ne peux pas croire que le démon ignore la véritable identité de Jésus. Alors, pourquoi cette supposition : si tu es …?
-"Le démon sait pertinemment qui est Jésus. Mais le piège que cache sa question est d'amener Jésus à faire quelque chose à la manière humaine. C'est un peu comme lorsqu'on dit à quelqu'un: si tu prétends être capable de faire telle chose, fais-la. Et celui qui ne discerne pas la provocation de cette phrase, celui-là tombe dans le piège. Dans ses trois tentatives pour prendre Jésus en défaut, le démon en sera pour ses frais, comme on dit vulgairement."
-"Tu veux dire que Jésus répond par une citation biblique afin de mettre en échec le démon?"
-"Tout-à-fait. Jésus, le Fils bien-aimé du Père (je te renvoie à l'évangile de Matthieu, au chapitre 3, verset 17), a voulu partager pleinement notre condition de faiblesse. C'est pourquoi il n'a pas été épargné par la tentation, qui est le lot de tous les humains. Mais il a triomphé du Tentateur avec l'arme de la Parole de Dieu. Cette parole est aussi une force pour nous.  Parce qu'elle nous donne des raisons d'espérer, et donc de continuer la lutte.  Ces raisons d'espérer, nous les trouvons dans le Christ, que saint Paul présente comme le nouvel Adam, mot hébreu qui désigne tout être humain. Le Christ donne à l'homme de devenir juste.  Certes, il suffit d'ouvrir les yeux pour constater que le péché abonde. Mais la grâce de Dieu -son pardon et son énergie vitale - est donnée en surabondance.  Armés d'une telle conviction donnée par la Parole de Dieu, nous pouvons lutter contre les tentations qui nous guettent. Le péché est fréquent, mais le pardon de Dieu nous aide à repartir."
Vois-tu, Candide, la tentation est une situation à laquelle la vie moderne nous soumet fréquemment, ne serait-ce que par la publicité omniprésente, dont parfois les méthodes relèvent de la subtilité perverse du serpent de la Genèse. Aujourd'hui, le culte de l'argent, l’appétit du pouvoir, l’avilissement de la vie affective, l’écrasant mépris porté aux plus faibles, sont autant d’agressions délibérées et répétées qui veulent nous faire tomber. Le temps du Carême est l’occasion, renouvelée chaque année, de faire le point, et ce n’est pas un hasard si les lectures bibliques opposent Adam à Jésus.
Si le récit de la Genèse peut prêter le flanc à une certaine contestation (un serpent qui parle… par exemple), il n’en reste pas moins vrai que la Genèse et l’évangile illustrent deux réactions diamétralement et fondamentalement opposées face à la tentation. Dans l’une, la tentation d'Ève, on assiste à un désastre, car la mort sera le résultat de la tentation, tentation d’élever l’homme au rang de Dieu, pour évincer Dieu ; c’est une tentation bien moderne, qui va jusqu'à nier Dieu. Dans l’autre, malgré ses assauts répétés et sa grande habileté, on assiste au contraire à la défaite du tentateur et à la victoire de la vie, la vraie Vie, celle qui conduit l’homme à Dieu définitivement.
Certains esprits rationnels mettent en doute l’existence de ce tentateur, que la première lecture (Genèse 2 et 3) et l’évangile nous présentent comme une créature redoutable qui cherche continuellement à pousser l’homme à la faute, créature redoutable à l’intelligence subtile, redoutable parce qu’elle utilise le point faible de chacun comme un puissant levier, redoutable parce qu’elle sait se parer de toutes les formes de la séduction. Et il est réconfortant de voir que la sagesse et l’amour de Dieu nous ont donné Jésus en exemple. Lui, le Fils de Dieu, Dieu fait homme exactement comme nous le sommes dans notre humanité si faible, Lui, il a voulu partager pleinement notre condition humaine, et pour cela, il n'a pas évité d’être soumis à trois tentations, et quelles tentations !
Les spécialistes en communication affirment que seulement le tiers des paroles qui nous sont adressées parviennent pleinement à notre intelligence consciente. Si cela est vrai, alors parmi les trois tentations de Jésus, laquelle avons-nous retenue afin de l’esquiver ? Et bien ! Cette tentation-là n’a pas d’importance, car il y a fort à parier que ce n’est pas d’elle que se servira le tentateur dont l’homme a tout à redouter, car elle est comme un masque trompeur. Mais l’une des autres est celle qui nous fera tomber dans le piège, un piège si bien dressé, si séduisant, que rien ne pourrait nous empêcher d’y tomber, si l’Esprit de Dieu ne venait à notre secours. Celui qui est vraiment disciple du Christ le sait bien. Ce n’est pas un optimisme à toute épreuve qui permet de l’affirmer, car cela ressemblerait à de l’aveuglement. L’exemple du Christ est là qui nous est offert, toujours mais encore plus activement en ce temps de Carême."
-"Comment traduis-tu ces trois tentations à notre époque?"
-"Comment? … Voilà ce que je crois être la réalité.
            La tentation de la faim d’abord, qu’il faut transcrire dans l’appétit pour toutes ces choses contre lesquelles la morale et la religion dressent des garde-fous pour nous éviter de nous perdre, contre cet appétit de jouissance débridée au nom d’une liberté de l’homme mal comprise qui nous pousserait à être sourd à la Parole de Dieu, pour nous éloigner de Lui, contre également la soif d'être toujours plus riche, d'avoir toujours plus d'argent quels que soient les moyens pour y parvenir, par corruption, par gaspillage des ressources naturelles qui entraînent bien souvent un accroissement de la pauvreté des plus faibles.
            Ensuite, la tentation de l’orgueil, qui fait croire à l’homme qu’il peut tout, par son intelligence, par sa science, par son savoir-faire technologique, et qui renvoient Dieu aux oubliettes.
            Enfin, tentation de l’ambition et du pouvoir dont, hélas, même l’Église et des chrétiens ne sont pas toujours préservés.
            Il y a bien d'autres tentations, comme douter de la parole de Dieu surtout quand la maladie nous frappe et frappe nos proches, quand l'avenir nous parait fermé, quand l'espoir nous fait défaut. La seule ressource pour ne pas céder au découragement et au désespoir c'est de prier, même si nous pensons que Dieu semble rester sourd à nos prières.

            Théophile se perdit dans un lourd silence; il évoquait sûrement des évènements qui le touchaient de très près. Il reprit cependant son propos afin de ne pas affliger Candide.
Pour les chrétiens, la fête centrale est celle de Pâques. Le Carême qui la prépare récapitule tout ce qui dans la vie humaine peut être marqué par la foi en Christ, mort et ressuscité. Et les tentations de Jésus sont comme la figure des trois tentations majeures auxquelles tout être humain devra essayer de résister, toute sa vie étant présentée comme un séjour dans le désert, comme la traversée d'une épreuve, comme la résistance au mal, comme le passage de l'esclavage à la liberté, de la vie en ce monde à la vie avec Dieu.
Le temps du Carême revêt une grande importance car il réchauffe et renouvelle notre foi, mais en même temps nous rappelle le reproche que faisait l'ange de l’Apocalypse à l'Église d'Éphèse: « J'ai contre toi que tu as perdu ton amour des premiers temps. » (Ap 2, 4). Ou encore, la Parole d’espérance de l’ange à l’Église de Smyrne : « Je connais ta détresse et ta pauvreté. Sois fidèle jusqu'à la mort, et je te donnerai la couronne de la vie. » (Cf. Ap 2,9-10)
Que ces quarante jours, nous les mettions à profit pour cesser de nous agiter et faire silence dans notre vie, et pour nous mettre à l’écoute de Dieu. Et si quelque chose nous sépare de Dieu, souvenons-nous que c’est le moment de nous réconcilier avec Lui, car si nous revenons vers lui de cœur et d'âme pour vivre dans la vérité devant lui, alors il reviendra vers nous à tout jamais (Cf. Tobie 13,6)."

Candide semblait avoir du mal à comprendre tout ce que Théophile venait de lui dire. Son silence était révélateur de son désarroi. Théophile en fut conscient. Aussi encouragea-t-il Candide à relire toutes les notes qu'elle avait prises, et il lui proposa de se retrouver tous les deux, avec le Père Stanislas éventuellement, avant le prochain dimanche. Candide accepta avec joie.
Nous les retrouverons donc dimanche prochain pour un autre épisode tout aussi étonnant de la vie de Jésus: sa transfiguration.

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Prochain texte
le  11 mars 2017
2e dimanche du carême 2017
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Illustration
Duccio di Buoninsegna - La tentation de Jésus

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Chers lecteurs, si vous avez des remarques, des observations ou des questions, écrivez-moi à l'adresse jacques.choquet2@orange.fr
À suivre chaque dimanche … si vous le voulez bien.

Le 4 mars  2017

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