Les
entretiens du dimanche
25
1er
dimanche du carême 2017 (A)
Jésus au désert résiste au Tentateur.
Ce
premier dimanche de carême, Candide est arrivée avec quelques minutes d’avance
sur l’heure habituelle. Théophile consultait ses notes, ce qui ne l’empêcha pas
d’accueillir son amie avec joie.
-« Je t’ai
aperçue, mercredi dernier, au fond de l’église. Alors ! Que penses-tu de
la célébration des cendres ? »
-« C’est
émouvant. D'abord, il y avait du monde, malgré l’heure en soirée. J’ai trouvé
que les paroissiens étaient recueillis … Et puis, la procession des fidèles
pour recevoir les cendres : quel silence ! Oui, vraiment émouvant. »
-« Bien.
Aujourd’hui, nous abordons les lectures du premier dimanche de Carême.
L’évangile est consacré à la tentation de Jésus par le démon, ou le diable si
tu préfères, ou encore Satan. Cela se passe dans une partie désertique d’Israël….
As-tu lu les textes de ce jour ? »
-« Non. »
-« Bon, alors
je prends l’évangile de Matthieu, au chapitre 4, versets 1 à 11. Avant, je te
signale que saint Luc et saint Marc ont également relaté cette tentation. Je
lis :
< Jésus fut conduit au désert par l'Esprit pour être tenté
par le démon. 2 Après avoir jeûné
quarante jours et quarante nuits, il eut faim. 3 Le tentateur …> …. »
Théophile s’interrompit, car il avait vu, avec
étonnement, que Candide ne l’écoutait plus, et qu’elle avait fait la grimace.
-« Candide,
que se passe-t-il ? »
-« Il y a que
je m’étonne que l’Esprit conduise Jésus au désert. Tu m’as dit, ou bien j’ai lu
ou entendu cela quelque part, que Jésus
est le Fils de Dieu, qu’il est homme et Dieu à la fois, et je m’étonne qu’il ne
soit pas allé de lui-même au désert. Voilà. … D’autant que son guide est
de nature divine lui aussi. C’est bizarre. »
Théophile ne sut que répondre à cette réflexion de
Candide, qui, apparemment, était quelque peu amusée d’avoir « collé »
son ami. Elle attendit tranquillement que Théo reprenne ses esprits. -« Et
bien ! Pour une surprise, c’est une surprise ! Tu m’épates … Quoi te
dire ? … Laisse-moi une minute pour que je te réponde de façon simple."
Après quelques instants de réflexion, Théophile se
manifesta : "Pardonne-moi,
chère amie, d'avoir pris un moment de réflexion avant de te répondre. D'abord,
je ne suis pas théologien, j'insiste sur ce point; n'ayant pas reçu de
formation approfondie en théologie, cela fait que je dois rester prudent dans
ma réponse. Il est bien exact que le Dieu que Jésus nous a révélé est Dieu en
trois personnes, de même nature. Je pense qu'il est assez facile de concevoir
Dieu Père, créateur, et Jésus, Dieu également, engendré non pas créé et de même nature que le Père, comme le
proclame notre credo. Plus tard je t'expliquerai ce distinguo sur l'origine de
Jésus.
Par
contre, il est plus difficile d'expliquer ce qu'est l'Esprit Saint. J'ai trouvé
dans un livre dont je te donnerai le titre et l'auteur, un auteur parfaitement
respecté et théologien. Pour faire simplement et saisir ce qu'est l'Esprit
Saint, il a pris l'image d'un homme et d'une femme qui fondent un foyer. Tous
les deux sont bien de même nature, mais ils sont deux personnes distinctes. Ce
qui les unit, c'est l'amour qu'ils se portent mutuellement l'un envers l'autre,
un amour qui va de l'homme vers la femme, mais le même amour qui va aussi de la
femme vers l'homme. Il est évident que cet amour n'est pas matérialisé, mais il
unit la femme et l'homme. Et bien, c'est un peu la même chose pour l'Esprit
Saint: les réflexions menées dans les premiers siècles par les Pères de l'Église ont
conclu que l'Esprit Saint est une personne de même nature que le Père et le Fils,
qu'il est le lien entre le Père et le Fils. As-tu compris ? "
-"Je…je crois
avoir saisi ce que cette analogie suggère. … C'est sûrement plus subtil,
n'est-ce pas?"
-"Effectivement.
Par exemple, le catéchisme qu’avaient édité les évêques de France donnait une
explication, disons, plus biblique ! L’Ancien Testament avait retenu le
symbole d’un vent, dont Jésus a dit <qu’il souffle où il veut> [Jn 3,8], d’où sa dénomination
classique de <souffle de Dieu>. Il souffle fort ou murmure. C’est l’Esprit
que l’Église
reconnaît à l’œuvre dans la création du monde : < La
terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l'abîme et le
souffle de Dieu planait au-dessus des eaux.>
[Gn 1,2]. Et cet
Esprit est toujours à l’œuvre dans l’histoire du monde : Dieu le donne
sans compter à Jésus [Jn 3,34],
dans ses gestes, dans ses paroles. C’est l’Esprit qui sera donné aux apôtres et
aux premiers disciples le jour de la Pentecôte [Ac 2,1-13].
Nous
approfondirons tout cela plus tard, si tu veux bien? … En vertu de ce que je
viens de t’enseigner sur l’Esprit Saint,, Jésus est conduit au désert par
l'Esprit pour être tenté par le démon: cela signifie que Dieu a donné à Jésus, par l'entremise de l'Esprit, la
mission d'être confronté au démon pour prouver à celui-ci que rien ne le
détournera de sa mission sur Terre.
Reprenons
notre lecture:
<Jésus fut conduit au désert par l'Esprit pour être tenté
par le démon. 2 Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut
faim. 3 Le tentateur s'approcha et lui dit : “ Si tu es le Fils de Dieu,
ordonne que ces pierres deviennent des pains. ” 4 Mais Jésus répondit : “ Il
est écrit : Ce n'est pas seulement de
pain que l'homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de
Dieu.>
Arrêtons-nous
là. C'est la première des trois tentations. Les trois tentations qu'énonce Matthieu
résument toutes celles que l'homme peut connaître : voir ses désirs
immédiatement satisfaits et s'assurer soi-même sa propre existence ; éprouver
sa toute-puissance et se prendre pour l'égal de Dieu ; dominer les hommes et
régner sur la terre.
Le
démon, nom, qui veut dire Accusateur, Calomniateur,
parfois traduit <Satan>
(Adversaire), est un personnage qui s’applique à mettre les hommes en faute. Il
est tenu pour responsable de tout ce qui contrecarre l’œuvre de Dieu et du
Christ.
Par trois fois, le démon tentateur cherche
à défaire le lien entre Jésus et son Père en proposant, avec subtilité, à Jésus de se détourner de sa mission. Mais
Jésus sachant de qui il a reçu sa mission, accepte pleinement la volonté de son
Père. Parole du Père, il est venu accomplir ce que les prophètes ont annoncé,
et sa mission de Fils est de faire la volonté de celui qui l'envoyé, comme il
le redira encore lors de son dernier
combat avant sa Passion : «Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu
veux» (Mt 26, 39).
Des tentations à la Transfiguration qui
sera l'objet du 2e dimanche de Carême, Jésus révèle sa véritable identité : il
est le Messie venu accomplir ce que Dieu a promis aux hommes."
-"Ami Théo, je comprends tout cela. Cependant,
dans l'évangile, il y a quelque chose qui me tracasse."
-"Quoi donc?"
-"Le démon dit à Jésus : < Si tu es le Fils de Dieu, etc.> Je ne peux pas croire
que le démon ignore la véritable identité de Jésus. Alors, pourquoi cette
supposition : si tu es …?
-"Le
démon sait pertinemment qui est Jésus. Mais le piège que cache sa question est
d'amener Jésus à faire quelque chose à
la manière humaine. C'est un peu comme lorsqu'on dit à quelqu'un: si tu
prétends être capable de faire telle chose, fais-la. Et celui qui ne discerne
pas la provocation de cette phrase, celui-là tombe dans le piège. Dans ses
trois tentatives pour prendre Jésus en défaut, le démon en sera pour ses frais,
comme on dit vulgairement."
-"Tu
veux dire que Jésus répond par une citation biblique afin de mettre en échec le
démon?"
-"Tout-à-fait.
Jésus, le Fils bien-aimé du Père (je te renvoie à l'évangile de Matthieu, au
chapitre 3, verset 17), a voulu partager pleinement notre condition de
faiblesse. C'est pourquoi il n'a pas été épargné par la tentation, qui est le
lot de tous les humains. Mais il a triomphé du Tentateur avec l'arme de la Parole de Dieu. Cette parole
est aussi une force pour nous. Parce
qu'elle nous donne des raisons d'espérer, et donc de continuer la lutte. Ces raisons d'espérer, nous les trouvons dans
le Christ, que saint Paul présente comme le nouvel Adam, mot hébreu qui désigne
tout être humain. Le Christ donne à l'homme de devenir juste. Certes, il suffit d'ouvrir les yeux pour
constater que le péché abonde. Mais la grâce de Dieu -son pardon et son énergie
vitale - est donnée en surabondance.
Armés d'une telle conviction donnée par la Parole de Dieu, nous pouvons lutter
contre les tentations qui nous guettent. Le péché est fréquent, mais le pardon
de Dieu nous aide à repartir."
Vois-tu,
Candide, la tentation est une situation à laquelle la vie
moderne nous soumet fréquemment, ne serait-ce que par la publicité
omniprésente, dont parfois les méthodes relèvent de la subtilité perverse du
serpent de la Genèse. Aujourd'hui, le culte de l'argent, l’appétit du pouvoir,
l’avilissement de la vie affective, l’écrasant mépris porté aux plus faibles,
sont autant d’agressions délibérées et répétées qui veulent nous faire tomber.
Le temps du Carême est l’occasion, renouvelée chaque année, de faire le point,
et ce n’est pas un hasard si les lectures bibliques opposent Adam à Jésus.
Si le récit de la Genèse peut prêter le
flanc à une certaine contestation (un serpent qui parle… par exemple), il n’en
reste pas moins vrai que la Genèse et l’évangile illustrent deux réactions
diamétralement et fondamentalement opposées face à la tentation. Dans l’une, la
tentation d'Ève, on
assiste à un désastre, car la mort sera le résultat de la tentation, tentation
d’élever l’homme au rang de Dieu, pour évincer Dieu ; c’est une tentation
bien moderne, qui va jusqu'à nier Dieu. Dans l’autre, malgré ses assauts
répétés et sa grande habileté, on assiste au contraire à la défaite du
tentateur et à la victoire de la vie, la vraie Vie, celle qui conduit l’homme à
Dieu définitivement.
Certains esprits rationnels mettent en
doute l’existence de ce tentateur, que la première lecture (Genèse 2 et 3) et
l’évangile nous présentent comme une créature redoutable qui cherche
continuellement à pousser l’homme à la faute, créature redoutable à l’intelligence
subtile, redoutable parce qu’elle utilise le point faible de chacun comme un
puissant levier, redoutable parce qu’elle sait se parer de toutes les formes de
la séduction. Et il est réconfortant de voir que la sagesse et l’amour de Dieu
nous ont donné Jésus en exemple. Lui, le Fils de Dieu, Dieu fait homme
exactement comme nous le sommes dans notre humanité si faible, Lui, il a voulu
partager pleinement notre condition humaine, et pour cela, il n'a pas évité
d’être soumis à trois tentations, et quelles tentations !
Les spécialistes en communication
affirment que seulement le tiers des paroles qui nous sont adressées
parviennent pleinement à notre intelligence consciente. Si cela est vrai, alors
parmi les trois tentations de Jésus, laquelle avons-nous retenue afin de l’esquiver ?
Et bien ! Cette tentation-là n’a pas d’importance, car il y a fort à
parier que ce n’est pas d’elle que se servira le tentateur dont l’homme a tout
à redouter, car elle est comme un masque trompeur. Mais l’une des autres est
celle qui nous fera tomber dans le piège, un piège si bien dressé, si
séduisant, que rien ne pourrait nous empêcher d’y tomber, si l’Esprit de Dieu
ne venait à notre secours. Celui qui est vraiment disciple du Christ le sait
bien. Ce n’est pas un optimisme à toute épreuve qui permet de l’affirmer, car
cela ressemblerait à de l’aveuglement. L’exemple du Christ est là qui nous est
offert, toujours mais encore plus activement en ce temps de Carême."
-"Comment traduis-tu ces trois tentations à notre
époque?"
-"Comment? … Voilà ce que je crois être la
réalité.
La tentation
de la faim d’abord, qu’il faut
transcrire dans l’appétit pour toutes ces choses contre lesquelles la morale et
la religion dressent des garde-fous pour nous éviter de nous perdre, contre cet
appétit de jouissance débridée au nom d’une liberté de l’homme mal comprise qui
nous pousserait à être sourd à la Parole de Dieu, pour nous éloigner de Lui,
contre également la soif d'être toujours plus riche, d'avoir toujours plus
d'argent quels que soient les moyens pour y parvenir, par corruption, par
gaspillage des ressources naturelles qui entraînent bien souvent un
accroissement de la pauvreté des plus faibles.
Ensuite,
la tentation de l’orgueil, qui fait
croire à l’homme qu’il peut tout, par son intelligence, par sa science, par son
savoir-faire technologique, et qui renvoient Dieu aux oubliettes.
Enfin,
tentation de l’ambition et du pouvoir dont, hélas, même l’Église et
des chrétiens ne sont pas toujours préservés.
Il y
a bien d'autres tentations, comme douter de la parole de Dieu surtout quand la
maladie nous frappe et frappe nos proches, quand l'avenir nous parait fermé,
quand l'espoir nous fait défaut. La seule ressource pour ne pas céder au
découragement et au désespoir c'est de prier, même si nous pensons que Dieu
semble rester sourd à nos prières.
Théophile se perdit dans un lourd
silence; il évoquait sûrement des évènements qui le touchaient de très près. Il
reprit cependant son propos afin de ne pas affliger Candide.
Pour les
chrétiens, la fête centrale est celle de Pâques. Le Carême qui la prépare
récapitule tout ce qui dans la vie humaine peut être marqué par la foi en
Christ, mort et ressuscité. Et les tentations de Jésus sont comme la figure des
trois tentations majeures auxquelles tout être humain devra essayer de
résister, toute sa vie étant présentée comme un séjour dans le désert, comme la
traversée d'une épreuve, comme la résistance au mal, comme le passage de
l'esclavage à la liberté, de la vie en ce monde à la vie avec Dieu.
Le temps du Carême revêt une grande
importance car il réchauffe et renouvelle notre foi, mais en même temps nous
rappelle le reproche que faisait l'ange de l’Apocalypse à l'Église d'Éphèse:
« J'ai contre toi que tu as
perdu ton amour des premiers temps. »
(Ap 2, 4). Ou encore, la Parole d’espérance de l’ange à l’Église de
Smyrne : « Je connais ta détresse et ta pauvreté. Sois fidèle
jusqu'à la mort, et je te donnerai la couronne de la vie. » (Cf. Ap 2,9-10)
Que ces quarante jours, nous les
mettions à profit pour cesser de nous agiter et faire silence dans notre vie,
et pour nous mettre à l’écoute de Dieu. Et si quelque chose nous sépare de
Dieu, souvenons-nous que c’est le moment de nous réconcilier avec Lui, car si
nous revenons vers lui de cœur et d'âme pour vivre dans la vérité devant lui,
alors il reviendra vers nous à tout jamais (Cf. Tobie 13,6)."
Candide
semblait avoir du mal à comprendre tout ce que Théophile venait de lui dire.
Son silence était révélateur de son désarroi. Théophile en fut conscient. Aussi
encouragea-t-il Candide à relire toutes les notes qu'elle avait prises, et il
lui proposa de se retrouver tous les deux, avec le Père Stanislas
éventuellement, avant le prochain dimanche. Candide accepta avec joie.
Nous
les retrouverons donc dimanche prochain pour un autre épisode tout aussi
étonnant de la vie de Jésus: sa transfiguration.
*****
Prochain texte
le 11 mars 2017
2e dimanche du
carême 2017
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Illustration
Duccio di Buoninsegna - La tentation de Jésus
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Chers
lecteurs, si vous avez des remarques, des observations ou des questions,
écrivez-moi à l'adresse jacques.choquet2@orange.fr
À suivre
chaque dimanche … si vous le voulez bien.
Le 4 mars 2017
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